Les élites françaises ont honte de la France et de la langue française Tous nos ennuis en matière de langue viennent de là. Mais le mal date d'avant 1940 : en 1938, au moment de Munich, Alexis Léger était un parfait représentant de ces fausses « élites ». Le mal remonte à Voltaire (cf. le livre d'Ian Buruma, que j'ai traduit sous le titre de « l'Anglomanie » - éd. Bartillat). DG
À mon avis le mal est bien plus ancien. Il débuta sous le règne du
funeste Louis XIV et fut aggravé par Louis XV, imbécile couronné égaré
sur un trône. Il ne fit que s'aggraver depuis. Le tropisme germanique des collabos ne fut qu'un égarement fugace, le vœu profond des classes dominantes françaises (et constant, malgré leur renouvellement) est de se vautrer devant les puissants, quels qu'ils soient, mais plutôt devant les faux-monnayeurs dont elles comprennent l'action à court terme que devant les industriels dont les plans à long terme sont difficiles à comprendre pour des esprits paresseux.
CD
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Les élites françaises ont honte de la France Propos recueillis par Bertrand Rothé
Marie-Françoise Bechtel - BALTEL/SIPA Bio express : Marie-Françoise Bechtel fut directrice de l'ENA de 2000 à 2002. Elle est aujourd'hui députée de la 4e circonscription de l'Aisne, membre du Mouvement républicain et citoyen, apparenté au groupe socialiste. Elle est vice-présidente de la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Mais elle est aussi un exemple de l'efficacité du système scolaire républicain. Fille d'instituteurs, elle est agrégée de philosophie et conseillère d'État.
L'ancienne directrice de l'ENA, députée de l'Aisne apparentée au groupe socialiste, livre ici un regard très critique sur le rapport des classes dirigeantes françaises à notre nation. De sa fréquentation des politiques à celle des élèves des grandes écoles, Marie-Françoise Bechtel a rapporté de nombreuses anecdotes édifiantes.
Marianne : Vous venez d'affirmer dans un entretien publié dans l'Expansion que « la spécificité française tient surtout à la détestation des élites envers la nation ». Pouvez-vous préciser cette pensée et la justifier par quelques exemples ?
Marie-Françoise
Bechtel : C'est une idée qui me poursuit depuis assez longtemps. Je
me souviens l'avoir soutenue pour la première fois dans un entretien
accordé à Joseph Macé-Scaron dans le Figaro fin 2000. Je lui avais dit
que j'étais très frappée de voir à quel point les élites britanniques
étaient fières de leur nation. Aujourd'hui, pour moi, c'est plus que
jamais un constat absolu et évident. Les élites françaises ont honte de
la France, ce qui n'empêche qu'elles peuvent avoir un comportement
extrêmement arrogant, même si cela peut paraître paradoxal. Je cite
souvent l'exemple de Jean-Marie Messier. Ce pur produit des élites
françaises avait qualifié les États-Unis de « vraie patrie des hommes
d'affaires », et ce, juste avant de s'y installer. Ici, le propos est
chimiquement pur. Toutes les élites ne sont pas aussi claires, mais
beaucoup n'en pensent pas moins. Face à ça, dans cette période de crise, en France, le peuple se replie sur la nation, et comme on lui interdit d'être fier de son pays, qu'à longueur d'émission de télévision on lui explique que la France est une nation rance et sur le déclin, il prend le mauvais chemin, une mauvaise direction. Tous ces petits messieurs font le jeu du Front national. Mais il est intéressant aussi de se demander quand ce mépris de la nation a commencé à se développer chez nos élites. Je pense qu'une réponse se trouve dans les écrits de Jean-Pierre Chevènement. Il a pour la première fois, me semble-t-il, abordé cette question dans la République contre les bien-pensants, dans les années 90, il l'a ensuite développée dans La France est-elle finie ? En substance, il démontre que cette haine de la France et du peuple date de l'immédiat après-guerre, et je partage cette idée. Je pense que les élites ont trahi le peuple, qu'elles se sont compromises avec le régime de Vichy et qu'elles portent sur leur dos la défaite de 1939, « l'étrange défaite ». C'est à ce moment-là que tout se joue. J'ai recueilli à travers des entretiens qui vont d'ailleurs être prochainement publiés les souvenirs du dernier membre vivant du CNR, Robert Chambeiron. Il explique avec beaucoup de précision l'état des partis politiques en 1940. La situation était catastrophique ! Ils n'ont plus aucune légitimité. Robert Chambeiron raconte ce discrédit et la façon dont peu à peu les principaux partis se sont reconstitués en admettant la nécessité d'une union nationale. Il raconte le premier entretien dans une pissotière entre Daniel Mayer, qui représente la SFIO, et l'envoyé du PC. L'entrée en matière est violente. Le premier envoie à l'autre les accords Molotov-Ribbentrop, l'alliance entre Staline et Hitler. Le communiste s'offusque et lui répond : « Comment pouvez-vous nous faire la morale après Munich ? » Tout le monde s'était déballonné devant Hitler. La chance des partis, il faut bien le dire, ça a été les États-Unis. Les Américains se méfiaient de De Gaulle, ils voulaient s'assurer du soutien des partis et des syndicats. C'est Washington qui les a réellement remis en selle.
Après la guerre, la droite a eu une chance, c'est ce même de Gaulle. De
Gaulle a racheté la droite. C'est pour cela que toute la droite s'est
retrouvée gaulliste pendant de longues années. Mais cela n'a pas duré...
Dans les médias aussi, c'est un peu la Berezina. Le mot « nation »
hérisse. Libération reste le journal du courant « libéral-libertaire »,
même si on y trouve encore quelques pépites ici et là. Le Monde ne cesse
de me décevoir, cela remonte déjà à assez loin et c'est encore plus vrai
ces derniers temps, il ne reste plus grand-chose de ce grand journal. Le
Figaro ? Il est devenu l'organe officiel de la mise en accusation de la
gauche au pouvoir et à peu près rien de plus. Mais il faut se méfier des amalgames. Dans cet univers, il y a d'abord et surtout Bercy. Le gros morceau, c'est le couple Trésor-Budget. C'est là où tout se joue, tout se décide. C'est impressionnant, le pouvoir qu'ils ont, et je pèse mes mots. Laisser faire Bercy, c'est une grave erreur. D'abord, ces messieurs se méfient des politiques. Ils font bloc. J'ai été membre de la mission d'enquête sur l'affaire Cahuzac, eh bien, nous n'avons rien obtenu des directeurs ou responsables de ces deux administrations. Rien. Aucune réponse ! Blanc ! C'était impressionnant. Mais il y a en même temps des différences entre les deux. Les gens du Trésor sont toute la journée dans l'avion, un jour à Singapour, le lendemain à New York, pour placer l'argent public. Ils pensent en anglais. Au bout d'un certain temps, ils ne connaissent plus la France, c'est juste leur employeur. L'autre administration de Bercy qui compte, c'est le Budget, et cette direction serait plutôt gangrenée par l'idéologie allemande, si j'ose dire. Elle est devenue obsédée par l'équilibre budgétaire. En dehors de ces deux administrations, certaines se tiennent encore bien. Je pense d'abord à mon corps d'origine, le Conseil d'Etat. La plus haute juridiction administrative française a longtemps résisté aux dérives européennes.
Même si c'est fini aujourd'hui, et je le déplore, elle reste une
instance irremplaçable de conseil. Je pense ensuite à la préfectorale.
Le corps des préfets me semble être une institution qui résiste. Elle le
fait d'abord parce qu'elle est un corps qui représente l'État et non les
féodalités régionales. Ces hauts fonctionnaires sont en contact avec la
diversité des problèmes, ils vivent en province, rencontrent
quotidiennement les Français. Il y a aussi l'armée. Lorsque j'étais
directrice de l'ENA, j'ai rencontré régulièrement les dirigeants de
Polytechnique ou de Saint-Cyr. L'armée a fait un très gros effort pour
s'ouvrir à la nation, après la malheureuse suspension du service
national par Jacques Chirac. Je pense aussi que nous avons des bases solides. Nous sommes un très grand pays. Nous sommes encore la sixième puissance mondiale. Nous sommes encore une grande puissance économique, une grande puissance exportatrice, malgré notre déficit commercial. Je pense que tout cela est très mal enseigné. On devrait apprendre à nos élites le respect de cette histoire, de cette nation, et on leur apprend l'arrogance et la morgue.
Troisième élément, et non des moindres : je ne sais pas si c'est la
nation ou l'État qui résiste, mais quelque chose en nous résiste. Nos
bases, jusqu'à un certain point, restent solides. M.-F.B. : Oublions le ridicule inventaire du Point. Je pense que, si l'on avait davantage écouté Jean-Pierre Chevènement, mieux, si on l'avait élu en 2002, on verrait aujourd'hui ce qu'est la différence entre une conception ouverte, généreuse et patriotique de la nation et le repli frileux, pour ne pas dire infantile, sur des valeurs régressives. Le problème aujourd'hui est de faire comprendre aux Français que la nation bien comprise est source de modernité, non de repliement : mais comment le leur faire comprendre alors que, à gauche comme à droite, l'Europe telle qu'elle dérive est devenue « la grande illusion » ?
Source : marianne.net, le dimanche 19 janvier 2014 http://www.marianne.net/Les-elites-francaises-ont-honte-de-la-France_a235106.html
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