Sujet :

Tous allègres sur le port

Date :

janvier 2003

De Denis Griesmar (Denis.Griesmar(chez)wanadoo.fr)

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TOUS ALLÈGRES SUR LE PORT

« Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. »

Corneille, Le Cid, Acte IV, scène III.

 

Tandis que Rome s’étage sur ses sept collines, Porto Alegre en compte bien septante…Carnaval, fête de la Déesse de la mer, rendez-vous branché : le second Forum Social Mondial aura certes été tout cela, mais davantage et mieux encore, grâce à ceux qui y ont travaillé, même si les médias, eux, se sont plutôt attachés à tel ou tel homme politique : l’idée, l’espoir qu’un autre monde est possible, et que tout dans la vie ne peut être fondé sur une rentabilité financière à court terme qui se révèle bien souvent illusoire…

L’idée d’y participer circulait parmi nous depuis quelque temps, afin de rendre notre lutte plus médiatiquement audible et visible. Mais il fallait, pour cela, dissiper quelques ambiguïtés. Nous ne nous sentions pas mandatés pour trancher sur tous les thèmes abordés, et craignions une « récupération », soit par d’autres Associations, soit par des gouvernements.

On doit à la vérité de dire que ce Forum aura été, dans l’ensemble, remarquablement organisé, grâce, d’abord, au gouvernement de l’État du Rio Grande do Sul, mais également aux Amis du Monde Diplomatique, et au Ministère des Affaires Étrangères français, lequel tentait de faire oublier d’autres prises de positions de son gouvernement…et au Movimento em Defesa da Lingua Portuguesa, grâce auquel nous avons pu obtenir l’adjonction au Forum, pour la première fois, d’ateliers portant sur la diversité linguistique et culturelle.

En-dehors même du fait que ces travaux se déroulaient dans le contexte passionnant, et parfois chaleureux, du Brésil, nous avons pu y rencontrer des participants de nombreux pays : Amérique latine, Afrique, Québec, Japon, Chine, Russie, Italie…maîtrisant d’ailleurs souvent parfaitement le français, même lorsqu’ils n’étaient pas francophones d’origine. Les trois langues employées, dans notre domaine, auront été le portugais, le français et l’espagnol, chacun comprenant, en général, la langue de l’autre.

Que ce soit à l’Université fédérale, au Centre culturel Mario Quintana ou à l’Université pontificale, les débats furent passionnants et suivis, comme en témoigne la résolution adoptée en conclusion, et dont les termes auront été soigneusement pesés. Alors que l’ « exception culturelle » pouvait apparaître comme fragile, et la « diversité culturelle » comme un simple descriptif anthropologique, au point de ne plus gêner M. Jean-Marie Messier lui-même, les participants se sont mis d’accord sur la notion d’ « exclusion culturelle » (nous préférons encore « exclusion linguistique et culturelle ») s’appliquant à des réalités qu’il s’agit de soustraire définitivement à l’emprise d’institutions telles que l’Organisation Mondiale du Commerce, au profit d’un « instrument » (selon la terminologie québécoise) qu’il s’agit encore d’affiner.

Ayant pour ma part axé mes interventions sur la langue anglaise comme cheval de Troie d’une conception juridique des rapports humains menant à imposer un modèle qui ne profite qu’aux plus riches, j’ai eu le plaisir de rencontrer un écho chez nos interlocuteurs brésiliens, citant Celso Furtado…Par ailleurs, nous avons travaillé en commun avec hommes de théâtre et réalisateurs de cinéma, et avons montré le lien entre les problématiques linguistiques et culturelles.

À noter également que, pour surmonter l’émiettement face à l’anglo-américain, le Forum a retenu l’idée de favoriser les regroupements, tels la francophonie ou la lusophonie, permettant de maintenir une pluralité des langues internationales et, en dernière analyse, des possibilités d’interprétation du monde.

Au total, le bilan aura été largement positif. Outre que nous avons pu faire porter la voix de la France dans des régions du monde qui sont avides de l’entendre, ce Forum Social Mondial aura été l’occasion de « déringardiser » la défense de notre langue, indûment caricaturée dans la presse de notre pays. Il reste à faire connaître, et à faire valoir ce bilan. C’est ce à quoi s’emploiera le Forum Francophone International, et nous invitons tous ceux qui sont motivés à le rejoindre. La tâche en vaut la peine.

« Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu que les âmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grands desseins ». (La Rochefoucauld).

 

 

 

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