La Commission européenne lance une plateforme de la société civile en proposant une langue de travail unique, l’anglais.
Dans un communiqué de presse du 23 avril 2013, la Commission européenne a annoncé la création d’une plate-forme pour lutter contre la fraude fiscale. Titre : La bonne gouvernance dans le domaine fiscal http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-351_fr.htm. « Elle sera composée de 45 membres, à savoir un représentant de haut niveau issu des autorités fiscales de chaque État membre ainsi qu’un maximum de 15 représentants non gouvernementaux. Ces derniers seront désignés par la Commission sur la base d’une procédure ouverte d’appel à candidatures. Un appel à candidatures a aussi été lancé aujourd’hui afin de sélectionner les organisations qui participeront à la plateforme. Les organisations sélectionnées auront un mandat de trois ans, renouvelable si leur candidature est à nouveau retenue après cette période ».
L’appel à candidatures précise que la langue de travail sera l’anglais : « Étant donné que ni traduction des documents, ni interprétation simultanée ne peuvent être garanties dans les trois langues de travail de la Commission (EN, FR, DE), une parfaite maitrise de l’anglais sera demandée aux représentants et à leurs suppléants pour pouvoir prendre part aux discussions, comprendre les documents de travail et si nécessaire produire une contribution écrite ». Ainsi sont éliminés d’éminents spécialistes qui n’auraient pas cette maîtrise, et avantagés des anglophones même sans grande compétence.
Si la société civile a un rôle à jouer dans l’UE, et dans ce cas il s’agit d’experts de haut niveau en matière fiscale, il faut lui en donner les moyens : ces moyens sont ceux des services de traduction et d’interprétation, piliers du fonctionnement de l’Union européenne.
Non respect des traités : On peut d’ailleurs se demander si la Commission peut légalement convoquer des acteurs de la société civile de tous les États membres avec comme condition sine qua non une maîtrise parfaite de l’anglais. Cette exigence est en contradiction avec les articles 20 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) sur la citoyenneté européenne, 10 et 11 du TUE (Traité sur l’Union européenne) et avec la charte des droits fondamentaux (articles 21 sur la non discrimination notamment sur la langue et 22 sur la diversité).
Les membres de la future plate-forme sont en droit de saisir la Commissaire européenne à la Justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, actuellement Viviane Reding , et/ou le médiateur européen, pour discrimination linguistique.
Du reste, à la suite d’une plainte, le médiateur a déjà adressé, le 4 octobre 2012, un avertissement à la Commission concernant l’emploi des langues dans les consultations publiques, l’enjoignant de s’assurer que tous les citoyens européens puissent comprendre ses consultations publiques en les publiant dans toutes les langues officielles. Le contraire, a-t-il précisé, serait un acte de mauvaise administration. Dans sa réponse la Commission vient de s’engager à améliorer ses pratiques. A priori, cela ne semble pas encore au point.
On peut regretter que les économies budgétaires imposées à toutes les directions générales de la Commission n’aient pas épargné les services de traduction et d’interprétation. Dans la crise de confiance que traverse l’Europe il est plus que jamais essentiel que le souci de démocratie soit au cœur de toutes ses initiatives. Le respect de la diversité linguistique, ancré dans les traités, en est le garant. Enfreindre la lettre et l’esprit des traités n’est pas moins grave que la fraude fiscale.
Il serait intéressant de savoir ce que pense de cette affaire le Parlement européen, en particulier Miguel Angel Martínez Martínez, vice-président chargé du multilinguisme.
Claire Goyer, est présidente de l'association DLF Bruxelles-Europe, diversité linguistique
[1] Allusion à la phrase “some animals are more equal than others” (Animal Farm, G. Orwell, 1945)
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