La
parole à … Abdou Diouf
fff : L’année qui vient de
s’écouler a été une année charnière pour la Francophonie :
la gestion des crises africaines, la refonte des institutions, la
Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle…Quel bilan
en tirer ?
A.D. :
2005 a en effet montré une Francophonie active, une Francophonie
en marche. Pour une organisation internationale comme la nôtre,
qui n’est ni mondiale, ni régionale, qui mène une action
politique dans son espace, axée sur la paix, la démocratie et
les droits de l’Homme, en même temps qu’une action de coopération
axée sur la solidarité, l’éducation et la diversité
culturelle et linguistique, le véritable défi c’est de démontrer
chaque jour son utilité, sa cohérence. Nous devons pour cela
apporter nos réponses aux attentes de nos populations, aux déceptions,
aux frustrations, aux inquiétudes engendrées par une
mondialisation mal maîtrisée et trop souvent impitoyable avec
les plus défavorisés.
L’OIF est forte de ses 63 pays et gouvernements membres répartis
sur les cinq continents, elle est riche de sa diversité et de sa
créativité, elle est fière de ses valeurs, elle est motivée
par une réelle envie d’agir. Tout cela s’est construit,
s’est mis en place pendant près de trois décennies, dans un
monde d’abord contraint par la guerre froide, puis par de grands
bouleversements et beaucoup d’incertitudes. Une période pendant
laquelle la vision de nos pères fondateurs n’a pas toujours été
comprise. Quand la nécessité d’un dialogue des civilisations,
du respect des identités, du besoin d’échange et de partage
s’est imposée, on n’a plus perçu la Francophonie comme une
chose un peu étrange et désuète. On l’a redécouverte, on a
compris sa modernité, le vrai sens de son ambition. C’est en réalité
ce phénomène qui s’est révélé, qui s’est amplifié au
cours de l’année 2005.
Nous avons agi et réagi en Centrafrique, au Togo, en Mauritanie,
en Haïti en mettant très concrètement, très pragmatiquement
nos réseaux, nos savoir-faire au service de la paix, de la démocratisation
et de la reconstruction. Nous avons intensifié nos actions en
faveur de la langue française et de la diversité linguistique en
Europe, en Afrique, dans les organisations internationales, dans
le monde du sport olympique.
Notre initiative en faveur d’une convention contraignante
garantissant la diversité culturelle a abouti à une belle
victoire politique à l’UNESCO. Nous avons su remettre nos
institutions en ordre de marche en moins d’un an sans nous
perdre dans les chemins sinueux d’un processus de réforme. Tout
cela est prometteur et traduit bien le fait que la Francophonie
s’inscrit parfaitement dans ce nouveau siècle.
fff :
Le festival francophone en France sera l’un des points forts de
l’année 2006 : quel est selon vous le sens de cette
manifestation, et comment en faire le meilleur usage ?
A.D. :
Je l’ai dit et je vous le répète : ce festival
sera bien plus qu’une simple série de spectacles. Il
s’inscrit dans un vrai projet politique, il exprime une certaine
idée du monde. L’idée de ce festival, proposé par Jacques
Chirac, est venue à un moment qui a été terrible pour le monde.
Après le 11 septembre 2001, tous les Francophones ont exprimé
leur inquiétude face à la haine et au repli identitaire. Ils ont
réagi contre ces théories du choc des civilisations. Ce
festival, c’est une grande manifestation des Francophones. Mais
au lieu de descendre dans la rue pour protester, des milliers de
personnes, des artistes, des créateurs, des universitaires, des
journalistes, des entrepreneurs, des militants du monde
associatif, mais aussi des États et gouvernements, et bien sûr
nos institutions francophones se rassemblent pour faire la démonstration
des vertus du dialogue, du partage de l’échange, de la joie de
se rencontrer, de la fierté d’être ensemble, du besoin
d’aller vers l’autre.
Ce festival se déroule principalement en France. C’est très
important parce qu’il va, je l’espère, permettre de donner un
bon coup de balai à cette image d’une Francophonie un peu pré-historique
et repliée sur elle-même qui persiste encore. Il faut que ce
festival soit l’occasion de démontrer que la Francophonie au
XXIème siècle est porteuse d’une dynamique forte en faveur
d’une mondialisation humaine, maîtrisée, qui refuse l’écrasement
des identités, des cultures, des langues, de la création, de la
pensée.
En deuxième lieu, ce festival doit s’adresser aux jeunes, à
tous les jeunes vivant en France, les séduire, les intéresser,
les mobiliser, les engager à participer à l’aventure
francophone qui leur est avant tout dédiée.
Enfin ce festival doit servir d’exemple, de modèle. Il faut
qu’après la France, le projet soit renouvelé dans d’autres
pays membres de la Francophonie.
fff :
Au fil des ans, l’Organisation internationale de la Francophonie
gagne en visibilité, en cohérence et son Secrétaire général
en autorité : quels objectifs avez-vous fixés dans le cadre
de votre mission ? Quelles sont vos priorités ?
A.D. :
Mon premier souci est de faire de l’OIF une
organisation crédible, performante, utile. Le bon fonctionnement
d’une institution est un travail ingrat, mais nécessaire. L’OIF
n’est pas l’ONU, ce n’est pas non plus un bailleur de fonds,
ni encore un club de Chefs d’État. C’est devenu une
institution d’un type original qui intervient avec ses méthodes,
ses savoir-faire, ses réseaux dans des domaines qui ne sont pas
toujours correctement pris en charge par les autres institutions
du système international. Nous avons fixé, pour les dix
prochaines années, quatre axes prioritaires : le rayonnement
de la langue française, la diversité culturelle et linguistique,
clé du dialogue des civilisations ; la paix, la démocratie
et les droits de l’Homme, défi essentiel dans notre espace ;
l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la
recherche, déterminants pour les jeunes générations ;
enfin la solidarité et le développement durable parce qu’une
croissance économique inégalitaire est dangereuse et
inacceptable.
C’est un vaste programme. Il est vrai que nos ambitions sont
grandes. Mais nous ne sommes pas irréalistes. Nous ne résoudrons
pas seuls tous les malheurs du monde. Mais nous savons que dans
ces quatre domaines nous pouvons, d’une part, aider concrètement
nos pays, et d’autre part, coopérer avec d’autres partenaires
internationaux et apporter notre modeste contribution à un monde
plus juste.
fff :
Et quels sont selon vous les principaux obstacles qui restent à
vaincre ?
A.D. :
Sur le plan des méthodes : développer une culture
des résultats, gagner en visibilité, multiplier les partenariats
et les synergies avec tous ceux qui œuvrent dans le même sens
que nous. Ce qui me tient aussi beaucoup à cœur, c’est la
mobilisation de tous les acteurs de la Francophonie : les
associations, les enseignants, les médias, les créateurs, les
entrepreneurs…. C’est une nécessité vitale pour une cause
comme la nôtre. Mais je ne veux pas voir l’avenir seulement
comme un parcours semé d’obstacles, comme un chemin de croix.
Je suis un optimiste….surtout quand je feuillette le programme
du festival francophone en France….