La
Francophonie met le cap à l'Est
En septembre 2006, alors que les derniers échos
des manifestations estivales retentiront sur les scènes des francofffonies !
dans toute la France et que seront organisés, autour du
cinquantième anniversaire du Premier congrès des écrivains et
artistes noirs à la Sorbonne, les rencontres et colloques célébrant
à Paris le centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor,
l’immense palais du Parlement de Bucarest accueillera le XIe
sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie. Après
le Liban (Beyrouth, en 2002) et le Burkina Faso (Ouagadougou, en
2004), c’est la première fois qu’un pays de l’Europe
centrale et orientale sera l’hôte d’un sommet de la
Francophonie.
On peut s’étonner d’un tel choix, que les diplomates ont
qualifié de « signe fort », s’agissant d’un pays
où le français n’est certes pas l’idiome le mieux partagé.
En Roumanie, il figure encore toutefois comme première langue
vivante étrangère, ce qui n’est même plus le cas - à
l’exception de la Moldavie où 65% de la population scolaire
apprend le français - dans aucun des autres États membres,
associés ou observateurs de l’OIF de cette région du monde. En
Bulgarie, en Albanie, dans l’Ancienne République yougoslave de
la Macédoine, en Lituanie, en Pologne, en Slovénie et en République
tchèque, les élites francophones ont en effet bien vieilli. Dans
les 9 pays concernés, le français compte, en 2005, moins de 4
millions de locuteurs au total. Les programmes d’enseignement
bilingues et tous les efforts de la coopération scientifique ou
audiovisuelle ne suffisent plus à y freiner la montée en
puissance de l’anglais. C’est le plus souvent ce dernier qui
vient occuper - avec l’allemand, dans une moindre mesure -
l’espace libéré dans la population par la levée de
l’obligation d’apprendre le russe.
Le pouvoir d’attraction de la Francophonie sur les pays de
l’Europe de l’Est, comme l’intérêt réciproque éprouvé
par celle-ci en leur direction, repose donc sur une logique qui
n’est plus linguistique, mais bien plutôt culturelle, politique
et économique.
Libérés, avec la disparition de l’URSS, de la tutelle
exigeante de leur « protecteur » moscovite, les neuf
pays d’Europe centrale, orientale et balte qui ont fait le choix
de la Francophonie marquent en effet leur volonté de s’intégrer
au plus vite dans l’Union Européenne dont l’OIF leur donne la
clef, mais, cette fois, dans le respect du multilatéralisme
et des principes démocratiques en vigueur au sein de
l’Organisation.
Après avoir lutté durant des siècles pour sauvegarder leurs
cultures nationales face à des Empires, autrefois germanique,
ottoman ou russe et plus récemment soviétique, ces États
apportent aujourd’hui à leurs nouveaux partenaires francophones
leur tradition d’un attachement militant à ces valeurs communes
que la Francophonie veut faire prévaloir, tant dans le domaine du
multilinguisme que dans celui de l’exception culturelle, de la
politique internationale ou des droits de l’homme.
En d’autres termes, la promotion de la diversité
linguistique et culturelle n’est plus, aujourd’hui,
« le bouclier tendu pour parer aux coups de la dictature
socialiste totalitaire », mais l’instrument d’une
« mondialisation maîtrisée qui résiste aux menaces
d’hégémonie dans le monde » (Bucarest Hebdo).
C’est désormais dans ce cadre que la rencontre a lieu entre les
nouveaux Européens de l’Est et leurs partenaires francophones
de l’Ouest et du Sud. Non pas dans la nostalgie de la préservation
d’une langue pure, mais dans la volonté d’unir sans
uniformiser pour affronter ensemble les défis des temps à venir.