Entretien
avec Malek Chebel
fff :
On sait que vous êtes un intellectuel musulman d’origine
algérienne, réformateur de l’Islam – vous avez créé la
Fondation pour un Islam des Lumières – et un essayiste
volontiers provocateur : en quoi l’organisation des francofffonies !,
où vous interviendrez comme membre du Comité d’honneur, répond-elle
à vos préoccupations ?
M.C. :
Ce festival 2006 est pour moi la manifestation ponctuelle
d’une communauté d’esprit pérenne : la communauté
francophone. Quelle que soit la diversité des spectacles, des
expositions et des rencontres inscrits à son programme, on y sera
toujours confronté à cette même double question : comment
inclure l’autre dans son territoire à soi, comment introduire
sa présence dans un ensemble charnel et spatial partagé ?
En disant cela, je ne joue pas sur les mots, je ne fais pas de rhétorique,
je nomme une réalité : l’Algérie est la terre de mes
parents ; la France, celle de mes enfants ; et mon pays
à moi, c’est ma langue. C’est à la francophonie que
j’appartiens pleinement, comme à un territoire vivant, en
continuel projet…
fff
: Quels sont, selon vous, les principaux thèmes qui devront
être abordés dans les débats ?
M.C. :
« L’un et l’autre » : en réfléchissant
sur l’autre, la francophonie s’interrogera aussi sur elle-même.
Deux préoccupations antagonistes divisent aujourd’hui le monde :
d’une part, la diversité, mise en danger par la globalisation
mondialiste ; et, de l’autre, la sécurité, au nom de
laquelle on élève des barrières qui nous séparent des créateurs
venus d’ailleurs. On parque à la frontière ceux-là mêmes qui
nourrissent nos pensées, inspirent notre musique, écrivent nos
livres, dessinent nos tissus ! Ils sauront eux-mêmes
profiter sans doute de cette occasion qui leur sera donnée de ne
pas « laisser passer » de telles contradictions.
fff
: La Francophonie doit-elle prendre en compte le fait
religieux ?
M.C. :
Résolument, oui. La Francophonie ne doit être ni élitaire,
ni abstraite, mais prêter l’oreille à toutes les convulsions
qui montent du monde francophone. La doctrine laïque n’a pas
pour vocation d’éradiquer la religion de l’espace des débats.
Quant à l’Islam, en l’occurrence, il ne doit pas connaître
de traitement particulier : comme toutes les autres
religions, il intéresse des créateurs qui sont issus de
l’espace musulman.
Idem pour les débats, qui ont pris récemment un tour
polémique, concernant l’histoire de la colonisation et ses
soi-disant « bienfaits »: il n’est évidemment pas
question que cette période se trouve escamotée dans le cadre
d’une manifestation francophone, qui représente, à l’évidence,
le lieu privilégié d’un dialogue plus nécessaire que jamais
à ce sujet. Mais il ne s’agit pas non plus, pour autant, de
sortir du champ qui délimite la légitimité des participants au
Festival : ceux-ci devront veiller à ne pas déborder de
l’échange humaniste et intellectuel qui leur incombe pour se
retrouver dans l’arène politique !
fff:
Comment concevez-vous votre mission de membre du Comité
d’honneur de francofffonies ! ?
M.C. :
Je verrais volontiers les membres du Comité prolonger
leur action au-delà des dates et des emplacements de ce festival
en devenant, en quelque sorte, des ambassadeurs itinérants de la
Francophonie. Pour ma part, je suis tout à fait prêt à apporter
mon grain de sel aux quatre coins de l’espace francophone en y répandant,
non pas une quelconque « bonne parole », mais
l’interrogation humaniste qui ne doit plus s’interrompre. Ne
laissons pas le rideau francophone retomber quand la fête sera
finie !