La
parole à … Meïssa M’Baye
Meïssa,
c’est d’abord une voix. Une de ces voix chaudes de baryton, légèrement
érodée par les tourments d’un monde qu’on entend moins
souvent exulter que gémir. Une voix habitée par des mots et des
poèmes qui comptent parmi les plus beaux de la littérature de
son pays, le Sénégal : Meïssa est un « chanteur à
textes ». Mais pas n’importe quels textes : au Salon
du Livre, les 27, 28 et 29 mars à La Maroquinerie ou encore à la
Bibliothèque nationale de France, c’est le président-poète Léopold
Sédar Senghor que le chanteur franco-sénégalais mettra en
musiques, en hommage à la négritude et en prélude aux festivités
organisées par francofffonies ! pour la commémoration
du centenaire de sa naissance. Entre Sine et Seine, le
nouvel album de Meïssa, chanteur, conteur et musicien – lui-même
se présente simplement comme un « artiste-citoyen » -
qui redonne vie à cet héritage, s’inscrit donc parfaitement
dans le projet du festival francophone en France : animer les
pensées et les imaginaires, ranimer les mémoires et enseigner
les valeurs de la Francophonie pour le plus grand plaisir des
spectateurs.
fff :
Vous êtes retourné vivre au Sénégal après 23 années passées
en France. Comment abordez-vous ce festival qui vous amène à
nouveau à Paris ?
M.M. :
Avec beaucoup de satisfaction. Si cette manifestation a pour but
de faire coexister les diverses cultures des artistes invités,
c’est une excellente chose. J’en ressens l’urgence parce que
mon lien avec la France n’a pas été rompu du fait de mon
retour à Dakar, bien au contraire, et parce que c’est en
tant que Sénégalais que je ressens cette connivence particulière
avec les pays qui font partie de l’ensemble francophone :
j’en suis tellement plus proche que des Américains !
fff :
On sait que de nombreux artistes refusent le qualificatif d’ « artistes
africains ». Vous reconnaissez-vous comme un « chanteur
francophone », malgré le poids de la colonisation ?
M.M. :
Vous faites sans doute allusion à certains des
morceaux que j’interprète, comme Thiaroye, qui rend
hommage aux tirailleurs sénégalais massacrés en 1944 par les
Français pour avoir revendiqué le paiement de leurs arriérés
de solde. Il est vrai, comme Senghor, qui en est l’auteur, l’a
exprimé lui-même, qu’il y eut durant la colonisation maintes
occasions où « la France n’était plus la France ».
Mais s’il n’est pas question d’ignorer ces massacres, il ne
faut pas non plus oublier le personnage de la femme d’exception
qui intervient en contrepoint dans cette histoire : celle de
la colonisation est double, avec des exactions qui peuvent déboucher
sur la poésie de l’espoir. Il y avait aussi des colons
humanistes…
fff :
L’institution francophone ne risque-t-elle pas, cependant, de
brider, voire de détourner votre création ?
M.M. :
Non, bien au contraire. Je me permets toutefois de
vous faire remarquer que nous n’avons pas attendu ce festival
pour essayer, par notre travail, de faire reconnaître des
cultures minoritaires. Mais, nous autres, artistes, avons toujours
besoin du prince pour pérenniser notre œuvre et mieux la faire
partager, avec notre culture, à d’autres peuples, voire mieux
la diffuser au sein du nôtre. Nos initiatives sont le plus
souvent totalement démunies : le soutien des institutions
est une nécessité.
En outre, nos activités prennent place dans un cadre réglementaire
qui mérite, lui aussi, qu’on s’y arrête. On a souvent parlé
de la question des visas, qui n’en a pas été résolue pour
autant et qui est encore plus difficile quand elle concerne des
groupes émergents, des jeunes talents. Ceux-là peinent à
rassembler les documents qu’on leur demande.
Et, puisque je suis musicien, je voudrais attirer l’attention
sur une disposition qui concerne tous mes camarades des pays
francophones : que la législation française exigeant –
notamment dans les radios – des quotas de diffusion français et
étrangers tienne compte de la nature francophone des productions.
Il est anormal que des productions africaines, notamment, soient
comptabilisées au titre des « productions étrangères »
et contingentées en tant que telles. En tant que productions
francophones, elles devraient bénéficier d’un statut
particulier.