Franck Grandmaison
« La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert (*) »
Si pour beaucoup d’entre nous le terme mondialisation suscite crainte et méfiance, car trop souvent synonyme de délocalisations et de plans sociaux, il est un autre aspect tout aussi dévastateur et pourtant régulièrement occulté quand il n’est pas sciemment accepté : L’imposition progressive d’une langue « globale » de travail : l’anglais. Réduites à de simples instruments de communication, considérées par de nombreuses entreprises comme un frein à leur développement, les langues, dans leur diversité, représentent pour leurs dirigeants une barrière interculturelle que le tout anglais suffirait à franchir. Communications diverses infestées d’anglicismes et de mots non traduits, réunions anglophones pour assemblée de salariés francophones, outils informatiques et documents de travail exclusivement en anglais, échanges transnationaux dans cette langue et dans cette langue uniquement. Plus qu’un constat c’est une évidence, l’usage du français dans les entreprises, sur son territoire, cède peu à peu sa place. Acceptée avec complaisance par certains qui trouvent là un moyen de se différencier, traitée avec indifférence par d’autres qui n’y voient que la fatalité, cette uniformité du langage au travail ne semblait, jusqu’alors, émouvoir grand monde. Passivité qui, d’ailleurs, n’a pas échappé à ces entreprises, s’empressant d’ériger en symbole de modernité et de performance la langue de Shakespeare. L’instrument de communication qu’est la langue trouve alors subitement une autre utilité. Il devient instrument de différenciation, de sélection, le premier signe d’adhésion à la sacro-sainte « culture d’entreprise ». Difficile dans ce contexte pour un salarié d’avouer sa méconnaissance de l’anglais, encore plus difficile hélas de le voir revendiquer son droit au français. Il y a quelques années, l’Etat pensait pourtant prévenir de telles situations en légiférant sur l’emploi de la langue française. La loi du 4 août 1994 dite loi Toubon visant à garantir un droit au français pour tous et notamment au travail (article L122-39-1 du code du travail) a été depuis, il faut le reconnaitre, très souvent ignorée. Mais ce n’est plus le cas. De plus en plus de délégués syndicaux, d’élus du personnel de toutes instances se saisissent aujourd’hui de ce texte pour faire valoir le droit au français dans les entreprises : GEMS, Europ assistance, Alcatel-Lucent, AXA, Société Générale, Hewlett Packard, Carrefour, Colgate Palmolive. Les procès se multiplient et la résistance linguistique s’organise. Tous dénoncent les conséquences sociales de ce choix mono linguiste : Condition d’accès à l’embauche, discrimination dans les carrières, insécurité dans le travail, stress. Les premiers dégâts apparaissent et l’unité syndicale règne pour s’en faire l’écho. L’UNSA, pour sa part, s’est montrée depuis le début partie prenante face à cette tentative d’envahissement linguistique. Attachée au plurilinguisme et au respect de l’identité culturelle, notre organisation soutient et participe, par l’intermédiaire du syndicat UDPA-UNSA d’AXA, aux actions du collectif intersyndical pour le droit de travailler en français en France (CGT, CGC, CFTC, UNSA). Ce collectif, dont le but est de sensibiliser le monde syndical, intervient également auprès des politiques et des medias pour que la France adopte un discours et une attitude clairs en matière de politique linguistique. Car les abandons se succèdent : Aéronautique, marine marchande, brevets d’inventions, sciences, recherche, Médecine (Affaire des irradiés d’Épinal ou l’enquête du ministère de la Santé (AFSSAPS) a montré que plus de 50 % des logiciels de radiothérapie étaient en anglais sans traduction). Autant de renoncements soulevés par le collectif illustrant le décalage entre le discours bienveillant du « français en partage », essence de la francophonie et la réalité parfois tragique de ce que subissent nos concitoyens. À l’heure de la libre circulation des capitaux, des biens et des services, force est de constater que le simple usage de sa langue, sur ses terres et en dehors, lui, n’est plus assuré. À présent, il n’y a plus d’équivoque, le droit au français est bel et bien une revendication syndicale, pour ne pas dire citoyenne, qu’il appartient à chacun de s’approprier. La langue est un élément déterminant d’intégration et de cohésion sociale. Dans la vie quotidienne, au travail, pour l’accès au savoir et à la culture, pour notre sécurité notre santé, exigeons le droit de disposer d’informations en français.
« Nous sommes chargés de l'héritage du monde, mais il prendra la forme que nous lui donnerons » (* André Malraux, le 17 Février 1969)
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