Sujet :

Au sujet des Assises sur le plurilinguisme

Date :

03/12/2005

Envoi de Germain Pirlot (courriel : gepir.apro(chez)pandota.be)

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Intervention de Charles Durand lors des « Assises du plurilinguisme » qui viennent de se tenir à Paris :


Je viens de participer aux « Assises du plurilinguisme » à Paris qui s'y sont tenues la semaine dernière. J'avais été invité, car je suis l'un de ceux qui s'opposent aux vues idéalistes des organisateurs de la conférence dont le but était de donner une image plus équilibrée des débats en invitant des dissidents dans mon genre.

Ces organisateurs avaient également laissé une assez large place aux opposants au tout-anglais, et il est clair qu'ils se rendent désormais compte des dégâts que le tout-anglais a créés, mais je persiste à penser qu'ils poursuivent une utopie, celle d'une Europe plurilingue qui est irréalisable. Que chaque citoyen moyen parle 3 langues ou plus apparaît simplement irréalisable même si de petits pays tels que le Luxembourg, la Suisse ou Andorre peuvent, ont pu,
s'en rapprocher depuis le moyen âge ou même avant.

À la lumière de leurs introductions et de leurs conclusions, il est clair que l'opinion des organisateurs n'a pas bougé d'un iota et qu'ils veulent imposer leur utopie au reste de l'Europe si ce n'est au reste de la planète.
Aux « Assises », on a pu entendre à de nombreuses reprises que le monde est davantage plurilingue que monolingue et que cela a été exclusivement présenté comme un avantage plutôt qu'un inconvénient. Dans cette veine, à de nombreuses reprises, j'ai eu envie de dire qu'il y avait nettement plus dans le monde de pays sous-développés que de pays développés. La diversité linguistique et le plurilinguisme sont souvent confondus et il est important d'établir une distinction très claire à ce sujet. Si le plurilinguisme est un net avantage en Europe au niveau individuel lorsqu'on peut y arriver, la diversité linguistique est un handicap très net au niveau national pour de nombreux pays africains, aux Indes et dans une multitude d'autres lieux. C'est la diversité linguistique locale qui a maintenu les langues coloniales en Afrique et aux Indes, qui interdit l'émergence d'États modernes dans de très nombreux pays et qui retarde considérablement le processus éducatif, car l'enseignement doit se faire dans des langues différentes de la langue maternelle, donc utilisant des processus cognitifs d'acquisition qui peuvent être en décalage complet d'une langue à une autre. Les polyglottes n'ont bien sûr pas ce problème à condition qu'ils maîtrisent leur propre processus d'acquisition de connaissances dans au moins une langue mais, malheureusement, cela n'est pas le cas pour les multitudes empêtrées dans le plurilinguisme au niveau national qui rime trop souvent avec le sous-développement et l'ignorance. Des exemples ? Au Botswana, par exemple, l'un des pays le plus touché par l'épidémie du sida, les mesures prophylactiques diffusées par le gouvernement en anglais sont difficilement comprises par les 3/4 de la population, mais comment pourrait-on faire autrement ? Souvent à cause de la multiplicité des idiomes, il est souvent impossible de diffuser l'information dans toutes les langues nationales. Alors qu'il est déjà difficile de diffuser l'information de 1 à n, comment ne verrait-on pas les difficultés inhérentes à la diffusion de l'information dans les deux sens de n à n groupes linguistiques ?

Diversité linguistique à l'échelle planétaire oui ! mais à l'échelle nationale, la diversité linguistique trop souvent maintient les populations dans l'ignorance et le sous-développement.

Anna-Maria Campogrande a raison en grande partie mais, comme je le disais lors des Assises, si dans le domaine scientifique, au début du XXe siècle, on pouvait pleinement participer à un congrès scientifique international en ayant une bonne compréhension passive de l'allemand, du français et de l'anglais et en sachant s'exprimer parfaitement dans l'une de ces trois langues, comment de nos jours exclure le russe, le chinois et le japonais, langues dans lesquelles il existe une production scientifique considérable ?
Comment, à une échelle plus réduite, pourrait-on également exclure l'italien ou l'arabe ?
Or, il est tout à fait impossible d'être à la fois un scientifique très spécialisé dans son domaine et d'avoir une bonne compréhension passive de l'ensemble de ces langues qui appartiennent à des familles linguistiques tout à fait différentes. L'anglais tient actuellement dans le domaine scientifique le rôle de l'espéranto, alors que non seulement il n'a pas été conçu pour cela, mais qu'il est impossible pour les scientifiques non anglophones d'utiliser une langue hégémonique sans qu'ils se portent préjudice à eux-mêmes et au groupe social qu'ils représentent. En science, dans les congrès vraiment internationaux, il est clair que l'espéranto est la seule solution qui tienne vraiment la route.
En ce qui concerne le reste des activités humaines, les divers pays du monde ont communiqué depuis toujours sans attendre que les Étatsuniens décrètent la "globalization". Dans le secteur du commerce, on a toujours utilisé plusieurs langues. Si une part du marché existait en Russie, on avait un ou plusieurs russophones. Si le marché se développait en Amérique latine, on avait recours à des lusophones et des hispanophones. Aucun besoin d'imposer 36 langues à tous les citoyens européens pour cela !

De ma participation aux Assises, il ressort en fait les conclusions suivantes :

- Le rôle actuellement conféré à l'anglais n'est pas le résultat d'un processus naturel, mais il est le résultat d'une politique linguistique délibéré soutenue par les affidés, les stipendiés et autres collabos des institutions anglo-américaines.
- Il est fort possible que la politique de plurilinguisme forcené qui vise à remplacer en Europe celle du « tout-anglais » risque d'avoir un effet délétère à moyen terme puisque, pour réussir, elle demanderait des ressources considérables qui affaibliront forcément d'autres secteurs.
- Impossibilité de faire infléchir les opinions des organisateurs des Assises, elle même inspirée par celle des décideurs européens qui continuent au mieux de poursuivre une utopie qui ne fait que renforcer indirectement un recentrage pratique autour de l'anglais à l'avantage des atlantistes et des anglo-américains.
- La nécrose linguistique déclenchée par les médias et par les systèmes éducatifs dans les pays européens a été conçue pour recentrer l'intérêt autour d'une langue impérialiste unique qui, bien sûr, est la moins affectée par ce phénomène.
- Parallèlement, dans un pays comme la France, les institutions de défense et d'expansion de la langue française, FINANCÉES PAR L'ÉTAT, ont été sciemment confiées à des incompétents qui gèrent le déclin programmé de la langue et de son rayonnement international.

Tout cela, je le répète, correspond à un plan qui a été mis en œuvre depuis plusieurs décennies. Son essor semble correspondre au découplage or-dollar qui, à partir de 1971, à permis aux États-Unis de disposer de moyens financiers quasi illimités prélevés essentiellement sur les autres pays grâce au caractère international de la devise américaine. Parallèlement, l'avènement de l'euro a créé des contraintes monétaires qui ont ligoté des pays comme la France qui n'ont plus les moyens d'une politique étrangère ambitieuse plus particulièrement dans le contexte d'une mondialisation décrétée par les anglo-saxons qui vide les pays de leur substance économique.


Charles Durand

 

 

 


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