Cérémonie
de remise des insignes de Docteur Honoris Causa Université
Jean Moulin Lyon 3 Son
Excellence Monsieur Abdou DIOUF Mes
premiers mots seront pour remercier la Communauté universitaire de
l’Université Jean Moulin, Lyon 3 et son Président, Guy Lavorel, de
m’avoir accueilli en son sein, en me faisant l’honneur de
m’accorder ce Doctorat Honoris Causa. Croyez
bien, Monsieur le Président, que j’y suis très sensible, car je
reconnais à l’Université un rôle majeur en ce siècle de haute
technologie. Dans l’Université, la Francophonie trouve pleinement sa
modernité. Le Président Senghor greffant sur la Négritude les apports
fécondants de l’Occident, en particulier de la culture française,
appelait les Sénégalais et ses frères d’Afrique, à s’ouvrir sur
les techniques et les technologies du monde développé. L’éloge,
Monsieur le Professeur Guillou et très cher ami, que vous m’avez
adressé, me rend confus. Je voudrais vous en remercier du fond du cœur.
Vous me connaissez et vous n’avez pas pu vous empêcher de livrer vos
secrets. Je ne vous en ferai pas le reproche, même en sachant que vous
avez parfaitement conscience de mon penchant pour la discrétion. Oui,
c’est vrai qu’en 1970, lorsque vous êtes venu pour la première
fois au Sénégal comme coopérant, avec pour mission de créer
l’Institut Universitaire de Technologie (IUT), vous êtes allé avec
une grande audace à l’abordage de l’Université de Dakar. Vous
aviez, en tous cas, l’appui du Président et du Premier Ministre. Vous
avez réussi, et pas un chef d’entreprise n’a dès lors recruté ses
cadres sans avoir puisé dans le vivier des anciens de l’IUT. Vous
avez transformé l’AUPELF en en faisant, grâce à l’UREF, et plus
tard à l’AUF, un outil de modernité, fierté de toute la
Francophonie. Aujourd’hui, vous enseignez la Francophonie dans ses
rapports avec la mondialisation à l’Université Jean Moulin et vous
avez pris l’initiative de créer le réseau des chaires Senghor qui se
renforce et s’étend dans l’espace francophone. Restez donc
longtemps un accoucheur d’idées et une sentinelle vigilante comme
tout bon universitaire. Avant
de vous parler de la Francophonie nouvelle, permettez-moi, puisque nous
entrons dans les divers et nombreux événements qui vont jalonner, de
mars à octobre, l’année 2006 dédiée à Léopold Sédar Senghor, de
vous en entretenir à partir d’un des aspects les plus méconnus de sa
pensée et de son action politiques, et qui traduit l’esprit dans
lequel nous célébrons cet anniversaire et l’actualité de son héritage. On
me pose souvent la question de savoir pourquoi et comment un pays aussi
massivement musulman que le Sénégal, a pu élire un homme connu pour
être un chrétien convaincu, pratiquant et fervent, et en faire son Président ?
A la vérité, je suis toujours tenté de répondre que les Sénégalais
ne se sont jamais posé la question. Si elle est venue à leur esprit,
c’est parce que d’autres qu’eux-mêmes se sont interrogés, voire,
parce que cette réalité était contre nature, selon certains. La
minorité chrétienne a toujours été considérée comme une partie intégrante
de la communauté nationale. Il y a toujours des chrétiens, élus au
suffrage universel, et des chrétiens ministres dans le gouvernement de
la République. Ils n’ont jamais bénéficié d’une quelconque
discrimination positive. C’est à l’élection législative de 1951
que 210 000 électeurs donnèrent leur voix à Senghor contre 90 000
à Lamine Guèye. La
montée en puissance de Senghor et de son parti, fut constante pendant
la décennie 50-60, jusqu’à ce qu’il devienne le premier Président
de la République du Sénégal. En
1963, un événement important se produisit au Sénégal :
l’inauguration de la grande mosquée de Touba, haut lieu du mouridisme.
La confrérie mouride est une des deux confréries musulmanes du Sénégal.
Avec celle des Tidianes, elles forment le socle sur lequel l’Islam sénégalais
s’est construit. Senghor s’était rendu à Touba pour assister à la
cérémonie aux côtés du Khalife général des Mourides. Les
premiers mots du Président furent « un hommage rendu à
l’amitié, à la fidélité ». Il
rappela sa rencontre avec le Khalife, un jour de novembre 1945, au cours
de laquelle il lui avait exposé son projet politique.
« Tout de suite, vous m’avez compris, vous m’avez approuvé,
vous m’avez aidé. Depuis vous ne m’avez jamais abandonné :
vous m’avez adopté comme votre fils ». Au-delà
de la personne du Khalife, Senghor a voulu honorer avec la confrérie
mouride, la communauté musulmane. Et il expliqua ce que la constitution
sénégalaise entend par laïcité. « La
laïcité pour nous, n’est ni l’athéisme, ni la propagande
anti-religieuse… La religion est un aspect essentiel de la culture.
Elle représente l’effort le plus noble pour lier l’Homme à
l’univers dans un double effort de socialisation et de totalisation ».
Non sans déplorer les déviations subies par les religions révélées,
tout au long de leur longue histoire. En
Afrique, « la religion est la sève de la civilisation négro-africaine ».
Par delà les différences de dogme et de pratique, l’Islam et le
Christianisme tendent vers le même but : « réaliser
la volonté de Dieu », c’est-à-dire « la fraternité
entre les hommes par la justice pour tous les hommes ». Et
Senghor de s’interroger : « Qu’est-ce que la
justice, si ce n’est l’égalité des chances donnée, au départ,
avec le travail, la répartition équitable du revenu national entre les
citoyens, du revenu mondial entre les nations, si ce n’est enfin, la répartition
équitable du savoir entre tous les hommes, entre toutes les nations » ?
Quelle leçon ! Quelle actualité pour un texte de 1960 ! « L’Islam
et le Christianisme peuvent nous aider à corriger les déviations de la
civilisation scientiste, mécaniste et matérialiste du XXe
siècle », continue Senghor, et
« j’ajoute nous opposer aux extrémismes ».
Et il conclut : « Il n’y a pas de commun vouloir
de vie commune sans tolérance religieuse et raciale, sans fraternité ». Justice,
égalité, amitié, fraternité, solidarité, tolérance, dialogue :
ce sont là les valeurs soutenues de la Francophonie dont les peuples en
leurs Etats se rencontrent régulièrement dans la diversité
de leurs cultures, de leurs langues et de leur religions, se parlent en
français, sans se renier. Ici,
en région Rhône-Alpes, dans votre Université, vous saisissez toutes
les occasions pour manifester votre appartenance à la Francophonie qui
est à un tournant de son histoire. Celle-ci connaît actuellement une
profonde transformation décidée par la Conférence ministérielle de
Tananarive de novembre dernier : la nouvelle Charte qui en est
sortie fait du Secrétaire général de l’OIF l’unique responsable
d’une organisation recentrée sur quatre objectifs prioritaires dont
la mise en œuvre va s’étaler sur dix ans. Quels
sont-ils ? La
langue française et la diversité culturelle et linguistique.
L’espace francophone est riche de la diversité de ses langues, de ses
cultures, de ses religions. La particularité de la langue française
est d’être une langue productrice de culture, enrichie, approfondie
et élargie au contact de civilisations différentes, et se greffant sur
elles en intègre les valeurs, engendre «la
Francophonie, cet humanisme intégral : cette
symbiose des énergies dormantes ». On
comprend pourquoi la Francophonie a livré à l’UNESCO le combat pour
l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles. Ce ne fut
pas un vain combat mené au profit exclusif de la France et
des pays développés. Mené et gagné au nom de la Francophonie, la
responsabilité qui en est issue impose que les pays du Sud, en coopération
avec ceux du Nord, tous membres de la Francophonie, défendent leur
identité face au monde en produisant des films pour le cinéma et la télévision,
en français ou dans leur langue maternelle, puisque en ce cas, à
condition de sous-titrage, ce n’est pas, selon le Professeur Claude
Hagège, contrevenir à notre éthique francophone de dissocier une
langue de son contenu. C’est dire combien la langue constitue « le
critère d’assignation d’une œuvre artistique à une certaine
culture ». Les industries culturelles doivent donc
faire l’objet d’un grand programme francophone. Sur dix ans, ce
n’est pas impossible. La promotion de la diversité culturelle et de
la pluralité linguistique en dépendent. La
promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme
est un programme phare de la Francophonie. Sa mise en œuvre est partie
du Sommet de Dakar qui a pris la décision de traiter, dans un premier
temps, de la Coopération juridique et judiciaire. C’était en 1989.
Depuis, l’action francophone en ce domaine est montée en puissance
pour s’occuper de l’avancée de la démocratie, du respect des
droits de l’Homme, de la prévention et de la résolution des
conflits, de la Paix dans l’espace francophone, notamment en Afrique
subsaharienne. Au mois de novembre 2000, a été adoptée à Bamako une
Déclaration forte, devenue le cadre de référence de l’action
politique de l’OIF. Ce texte explique non seulement le rapport de la
Francophonie à la démocratie, aux droits de l’Homme et à la paix,
tels que ces concepts ont été vécus pendant dix ans, mais encore
comment ils doivent être consolidés en Francophonie. Les 6 et 8
novembre 2005, s’est tenue une conférence pour faire le bilan. Ce fut
Bamako +5 qui a confirmé, au vu des résultats obtenus, la pertinence
des options découlant de la Déclaration dont il convient de faire
valoir l’importance fondatrice. Il nous faut donc sans cesse la rendre
plus efficace, approfondir et affiner l’exercice de la démocratie, le
respect des droits de l’Homme et l’existence de l’État de droit,
donner la priorité à la prévention des conflits et des crises, mettre
en place des dispositifs d’alerte, consolider la paix par l’éducation
et le dialogue. Pour y veiller, l’OIF s’est dotée d’un dispositif
d’observation et d’évaluation permanentes, qui nous permet de
comprendre les situations et de réagir. Appuyer
l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la
recherche.
Vaincre l’analphabétisme et généraliser l’éducation pour tous (EPT),
tels sont les défis que les pays francophones du Sud doivent relever en
se référant aux décisions de Jomtien (1990) et de Dakar (2000), des
Sommets francophones de Dakar et de Moncton, de la Conférence des
ministres francophones de l’éducation (Confemen). La Francophonie
peut et doit accompagner les Etats membres, sans pour autant se
substituer à eux. Il est urgent d’arrêter la dégradation de la
langue française, langue d’enseignement dans une vingtaine de pays
francophones parce qu’elle entraîne, par voie de conséquence, celle
des systèmes éducatifs. La maîtrise du français passe par
l’apprentissage préalable des langues maternelles. Car « ignorer
sa langue natale, c’est se déraciner » disait
Senghor. Un enfant qui commence son éducation par sa langue maternelle
est plus performant. « Installer confortablement
l’enfant dans sa langue maternelle, vous l’ouvrirez facilement sur
une autre langue », disait encore Senghor. L’éducation
de base ne consiste pas seulement à alphabétiser, encore qu’il
faille commencer par savoir lire, écrire, compter, et raisonner
ajoutent les scientifiques ; aux jeunes comme aux adultes, elle
doit apprendre aussi les choses de la vie, à les maîtriser, à les
utiliser pour en saisir le meilleur et être meilleur soi-même. La
Francophonie propose des programmes qui, pour se réaliser, exigent des
savoirs et des savoir-faire. Ces métiers sont nombreux, comme ceux qui
se rapportent à la culture, à l’audiovisuel au cinéma, aux
technologies de l’information et de la communication, au livre, aux
arts plastiques et vivants, à la musique, et j’en passe. Les jeunes
qui veulent s’y consacrer doivent se former pour devenir de bons
professionnels. Notre programme sur les « Industries culturelles »
comprend un volet formation important et multiforme qui intègre les
arts du spectacle et les techniques du multimédia. L’enseignement à
distance doit être réhabilité en Francophonie : il peut être
d’un grand secours dans ce secteur si vaste et si fondamental de l’éducation.
Quant
à l’enseignement supérieur, l’Agence universitaire de la
Francophonie en est l’opérateur. Je sais, monsieur le Président, que
vous êtes membre de son Conseil d’administration. J’y vois le signe
de l’intérêt que vous portez à la Francophonie. Je vous en
remercie. L’année dernière j’avais été invité par l’Ecole de
Management de Reims qui, forte de ses 75 ans d’expérience et de succès,
forme des cadres au plus haut niveau pour la direction d’entreprise.
Au Mali et au Sénégal des établissements privés, l’Institut des
Hautes Études en Management de Bamako et l’Institut Supérieur de
Management de Dakar, dont les niveaux d’excellence sont appréciables,
poursuivent eux aussi des objectifs d’enseignement supérieur. L’intérêt
de ces expériences est le partenariat public/privé qui s’élabore et
qui me paraît correspondre à cette exigence de modernité que l’AUF
manifeste dans ses actions. Il serait intéressant de creuser ce concept
pour en faire profiter l’action francophone. Développer
la coopération au service du développement durable et de la solidarité.
L’éducation dont je viens de parler est un élément important du développement
durable. Il le conditionne dans toutes ses dimensions. Il faut en
profiter. Mais la difficulté pour les pays du Sud, c’est de pouvoir
présenter des dossiers de financement recevables et de se soumettre aux
règles de bonne gouvernance, en particulier à celles qui commandent
une bonne gestion des finances publiques nationales et internationales. Pour
l’éducation et pour les autres volets de notre coopération, l’OIF
travaille dans ce sens. Comme elle travaille pour renforcer la
concertation entre francophones sur les questions de développement.
Nous l’avons fait par exemple pour le dossier du Coton, ou les négociations
à l’OMC. Autre
volet du développement durable, l’environnement et l’énergie. En
Francophonie, l’IEPF, établie à Québec depuis 1988, dispense une
information constamment actualisée et assure une formation soutenue et
profitable aux cadres des administrations publiques du Sud. La
micro finance est un mode d’intervention économique adapté qui
commence à s’imposer et qui peut générer des projets permettant aux
femmes et aux jeunes de travailler, de trouver un chemin qui leur
permette de sortir de la pauvreté, de cultiver le sens de
l’initiative. Les procédures des mutuelles sont simples et faciles à
mettre en œuvre, les conditions peu contraignantes. L’OIF s’est
beaucoup investie sur ce sujet depuis l’an dernier. Je
pourrais évoquer pendant de longues heures nos actions, nos missions,
nos ambitions. Nous les avons clarifiées, et depuis notre Réforme nous
travaillons aux réajustements à apporter au Cadre stratégique décennal
et à nos programmations, nécessaires pour mieux utiliser les moyens
limités qui sont à notre disposition. Cet exercice nous sera utile
pour permettre aussi de resserrer les projets et de les mettre en cohérence
dans une programmation logique et accessible, et leur donner le plus
grand impact possible. Voilà,
comment se présente aujourd’hui la Francophonie nouvelle. Nous avons
voulu qu’elle soit simplifiée et comprise, pour être davantage aimée
de tous, et surtout de la jeunesse. Ressourçons-nous en cette année
2006 en sachant lire ou relire Senghor, le père fondateur de la
Francophonie. Il nous donne une leçon de vie à travers son œuvre poétique
et son action politique. En homme de culture qu’il fut, il a laissé
aux générations présentes et futures un message riche qui nous
interpelle tous et qui éclaire l’humanité d’une lumière fortement
actuelle.
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