Sujet : À propos des méthodes de lecture
Date : 20/09/2006
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FORUM POUR LA FRANCE

À propos des méthodes de lecture,

par Pascal Naizot, ancien élève de l’École Normale Supérieure, 

animateur de la commission « Éducation nationale »

19 septembre 2006

 

 

La rentrée scolaire est un des rares moments où l’enseignement est à l’honneur dans les médias ! Et celle de cette année ne manque pas à la règle. Nous en retiendrons une polémique qui s’est créée autour de la lecture et des méthodes visant à son apprentissage. On nous pardonnera, ici ou là, quelque formulation un peu technique.

 

 

Questions de méthodes !

 

Pour faire simple, la méthode globale consiste à « faire reconnaître aux enfants l’ensemble du mot avant d’en analyser les éléments. » « Introduite dans les années 1970, la méthode globale pure consistait à visualiser et à reconnaître les mots dans leur globalité. »

Dans l’école de Jules Ferry, on enseignait la lecture par une méthode « alphabétique » (nommée parfois, un peu improprement « syllabique ») : on partait des lettres (et des sons simples, les phonèmes), puis on accédait au stade de la syllabe puis à celui du mot tout entier.

Aucune de ces deux méthodes ne semble aujourd’hui être employée de manière « pure » : les méthodes dites « mixtes » prévalent et elles foisonnent dans leur diversité.

Les méthodes « globales » ou « mixtes » ont fait la preuve de leur inefficacité. En 2004, 42,5% des élèves entrant en classe de 6e étaient incapables de « maîtriser les outils de la langue pour lire ». La statistique est officielle.

 

 

La volonté de Gilles de Robien

 

Enregistrant cet échec et souhaitant faire de la maîtrise de la lecture l’un des piliers du « socle commun », Gilles de Robien a prononcé un grand discours (5 janvier 2006). Le Ministre s’appuyait sur les données les plus récentes des neurosciences, sur lesquelles nous reviendrons dans un prochain article, et il affirmait : « L'apprentissage de la lecture doit commencer par le son et la syllabe. Il faut le dire clairement, nettement, explicitement et le faire savoir à l'ensemble du système éducatif. Cela, je le dis avec force, n'a jamais été fait. Les instructions ont jusqu'ici prêté à confusion ; elles sont demeurées ambiguës. » Un peu plus loin, il affirmait avec courage : « Cela signifie donc que le maître doit écarter les méthodes qui font commencer l'apprentissage de la lecture par la reconnaissance globale, et quasi photographique des mots. Il doit les écarter parce qu'elles saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d'accéder dès la fin du CP à la véritable lecture : la lecture ne doit en aucun cas être un exercice de devinette. »

La volonté du Ministre a été concrétisée par un arrêté en date du 24 mars 2006. Citons juste un passage, particulièrement significatif : « Au début du cours préparatoire, prenant appui sur le travail engagé à l'école maternelle sur les sonorités de la langue et qui doit être poursuivi aussi longtemps que nécessaire, un entraînement systématique à la relation entre graphèmes et phonèmes doit être assuré afin de permettre à l'élève de déchiffrer, de relier le mot écrit à son image auditive et à sa signification possible. »

Avant d’aller plus loin, il convient de saluer le travail et le courage du Ministre. Sa volonté d’en finir avec toute trace de méthode globale, semi-globale ou mixte est absolument excellente. Sa décision de rupture n’est pas d’abord de nature « politique » : elle s’appuie sur les découvertes les plus assurées des savants, notamment ceux qui s’occupent de neurosciences et qui connaissent le fonctionnement du cerveau et la manière dont il se structure.

 

 

Les réactions !

 

Dès le mois de janvier 2006, le Ministre a été attaqué. Certaines interventions ont « politisé » ce qui était d’ordre technique. C’est ainsi que Pierre Boutan écrit dans l’Humanité du 6 janvier 2006 : « Il s’agit bien de l’activation, dans le domaine scolaire, de perspectives réactionnaires et souvent même obscurantistes, comme dans les domaines économique, social, politique... » André Ouzoulias écrit dans Libération (4 janvier 2006) : « Ne nous y trompons pas, avec la campagne contre la « méthode globale », il ne s'agit pas de travailler à une plus grande efficacité de l'école et à l'intérêt des enfants, mais de faciliter la mise en oeuvre d'un programme politique de refondation de l'éducation, en réaction contre les valeurs d'égalité, de solidarité, d'éducabilité et de démocratisation du savoir. Pour cela, il faut discréditer les pédagogues et l'idée même de pédagogie. »

« Perspectives réactionnaires », « réaction » ! La science serait-elle réactionnaire ? Une manchette du Figaro (29 août 2006) résume la situation : « Gilles de Robien condamne la méthode globale. Scientifiques et parents approuvent le ministre. Mais le système éducatif fait de la résistance. »

« De la résistance » ! La formule est un peu mélodramatique. D’autant plus qu’à lire la presse, certains jugements sont plus subtils. Citons un article du Monde (édition du 30 août 2006) : « De l'avis des principaux syndicats, les modifications introduites dans les programmes par un arrêté du 24 mars 2006 "sont homéopathiques" et n'ont rien à voir "avec les déclarations outrancières du ministre". "Ces modifications ne changent pas grand-chose aux textes précédents ni aux pratiques des enseignants, affirme Luc Bérille, secrétaire général du SE-UNSA. »

 

 

« Des modifications qui ne changent pas grand-chose » ?

 

Dans l’article du Monde cité plus haut, Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp-FSU, le principal syndicat des enseignants du premier degré, minimisait la portée de l’arrêté du 24 mars : « Le ministre laisse croire que la méthode globale est utilisée dans les classes, ce qui n'est plus le cas depuis belle lurette. » Dans son discours de janvier 2006, le Ministre de Robien le contrait à l’avance : « Oui, la méthode globale existe toujours. Ne jouons pas sur les mots, comme on l'a fait trop souvent sur ce sujet jusqu'à maintenant. La seule méthode qui n'existe plus, c'est la méthode globale dite « pure », inspirée de Decroly. Le propre de cette méthode était de ne jamais faire intervenir, même dans un second temps, l'analyse des éléments, syllabes et lettres. Elle n'a en réalité guère été appliquée. En revanche, des méthodes « à départ global » continuent d'exister. »

Ce que voulait le Ministre, c’était « abandonner une fois pour toutes la méthode globale ou assimilée ».

Or le docteur Ghislaine Wettstein-Badour, éminente spécialiste des questions de l’apprentissage de la lecture, a lu attentivement l’arrêté du 24 mars 2006. Et elle y a relevé une ambiguïté qui minimiserait de fait les « modifications » souhaitées par le Ministre.

Citons le texte de l’arrêté : « ... on utilise deux types d'approches complémentaires : analyse de mots entiers en unités plus petites référées à des connaissances déjà acquises, synthèse à partir de leurs constituants, de syllabes ou de mots réels ou inventés. »

« Mots réels ou inventés ». Passons sur cette curiosité : apprendre à lire à partir de « mots inventés » ! Comme si les « mots réels » ne suffisaient pas…

« Mots entiers »… De jure, le « départ » pourrait être « global ». Ce qui autoriserait Luc Bérille à conclure : « Les enseignants vont continuer à faire leur boulot, en travaillant à la fois sur le décodage et le sens des mots. »

Pour le Docteur Wettstein-Badour, Gilles de Robien se serait, en quelque sorte, fait « flouer ».

 

 

 

Quelques réflexions conclusives

 

En matière d’enseignement, beaucoup de mesures prises par l’actuel gouvernement vont dans le bon sens. Le « socle commun » défini par le Ministre, sous l’impulsion du Haut Conseil de l’Education, contient des avancées remarquables par rapport à ce qui existe.

Ce qui manque à ce socle méritera d’être développé : une véritable vision politique nationale.

Certaines de ces mesures, par exemple celles sur les méthodes de lecture, seront jugées « réactionnaires ». Ce jugement montre à quel point certaines parties de la société manifestent de la « résistance » face aux changements nécessaires, une résistance mal nommée : un conservatisme, plutôt.

Il faut en tenir compte dans les mesures que nous devons prendre. C’est ainsi qu’une réforme de l’enseignement conforme à nos souhaits peut difficilement se passer du corps professoral tel qu’il existe actuellement.

« Réactionnaires » ! Très curieusement, certaines des mesures salutaires pour la France sont considérées comme un « retour » en arrière. Ce terme de « retour » est employé pour les méthodes de lecture alphabétiques… Or il n’y a jamais de « retour ». Les méthodes alphabétiques actuelles se nourrissent des CONNAISSANCES scientifiques les plus assurées (débarrassées de toute idéologie inutile, sans expérimentation honteuse sur l’enfant).

La polémique sur la lecture globale, la « résistance » de certaines parties du corps enseignant révèle (une fois de plus) une crise profonde de l’autorité politique. L’idée même que l’on puisse refuser d’appliquer la volonté du Ministre est choquante. Les manifestations récentes contre le CPE montrent à quel point le pouvoir échappe à la représentation politique.

C’est ainsi que d’excellentes mesures risquent de ne pas être appliquées.

Mais si cette situation est choquante, elle est sans surprise. Quand un État abandonne à grands pans sa souveraineté au profit de la lointaine instance européenne, quel « poids » (c’est-à-dire quelle autorité) conserve-t-il encore ? L’abandon de la souveraineté est un appel à la désobéissance.

L’arrêté du 24 mars 2006, dans sa rédaction ambiguë, amoindrirait ce que veut le Ministre. Si la remarque du Docteur Wettstein-Badour est exacte (et elle l’est apparemment), cela donne à méditer sur le lien entre le pouvoir politique et les fonctionnaires chargés d’appliquer les volontés politiques. En d’autres termes, cela illustrerait, une fois de plus, le fait que la technocratie (les bureaux) est au pouvoir.

Rien n’est possible sans une remise au pas de ceux qui « gèrent », qui « rédigent ». La volonté politique doit primer, les techniciens doivent obéir.