Sujet :

France-2 bientôt France-Two ?

Date :

04/12/2012

D'Henri Masson (esperohm(chez)club-internet.fr)

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France-2 bientôt France-Two ?

Monsieur le Médiateur,

 

France 2 est l'une des chaînes composantes du groupe France Télévision. La langue française devrait logiquement y occuper une place prépondérante.

Or, votre chaîne participe ouvertement au processus de colonisation des esprits lancé depuis longtemps et décrit par la journaliste et historienne anglaise Frances Stonor-Saunders dans « Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle » :

« Qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non, rares étaient les écrivains, poètes, artistes, historiens, scientifiques ou critiques de l'Europe d'après-guerre dont le nom ne fut pas d'une manière ou d'une autre lié à cette entreprise secrète. »

(version en français. Paris : Denoël. p. 14. Titre original “Who Paid the Piper? : CIA and the Cultural Cold War“)

En ce 4 décembre 2012, dans le journal du matin, deux documents sans rapport avec le monde anglo-saxon ou avec l'anglais - lutte contre la pollution des gaz d'échappement et économie de carburant, puis séduction - avaient une chanson en anglais comme fond sonore parfaitement inutile. J'ai éteint...

La publicité avec des noms ou slogans en anglais, le fond sonore de chansons en anglais pour des documentaires dans des pays non anglophones (comme dans les grandes surfaces), et même maintenant sur des bulletins météorologiques non commentés sur d'autres chaînes (!), le recul du système métrique, tout cela fait partie d'un processus de « normalisation » à l'américaine visant à amener les citoyens, dès leur plus jeune âge, à penser, ressentir, réagir, se conduire, consommer « à l'américaine », à s'aligner sur les États-Unis. Tout cela va dans le sens de ce qu'avait écrit un personnage influent, mais peu connu en France, de l'administration Clinton :

« Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines ; que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent. » (David Rothkopf, “In Praise of Cultural Imperialism?“, Foreign Policy, N° 107, Été 1997, pp. 38-53.)

Il est clair que ce qui prime, c'est bien l'intérêt des États-Unis, que les « Américains » (mal nommés) veulent se sentir partout à l'aise dans le monde, même si leur présence, leurs choix, leurs exigences et leurs méthodes incommodent les citoyens. La crise que le monde subit aujourd'hui est la conséquence logique de leurs choix, notamment celui qui fut exprimé voici vingt ans, en 1992, à Kyoto par George Bush père : "The American lifestyle is not negotiable" ce qui se traduit en langage clair par « le monde peut crever du moment que nous vivons à l'aise ». Cette dérive avait été fort bien analysée pour les États-Unis par le professeur Herbert Irvine Schiller, un grand spécialiste des médias, en particulier dans « Décervelage à l'américaine » (faire une recherche avec ce titre ou avec "Dumbing Down, American-style" ou "Usona sencerbigo").

Curieusement, sur France 2, lorsqu'il est question d'enseignement ou d'apprentissages DES langues, au pluriel, c'est presque toujours uniquement de l'anglais qu'il est question. La chaîne France 2 a-t-elle fait le choix du décervelage à l'américaine ? Conditionne-t-elle déjà les téléspectateurs à la vision de Jean-François Copé sur les émissions de télévision, lui qui soutient l'idée de diffusion des films en version originale avec sous-titrage en français, de telle façon que leur regard se portera sur le texte et non sur l'image, si bien qu'il leur sera impossible de quitter le bas de l'écran du regard pour tout comprendre ? Dès lors, à quoi bon la télévision ? Et puis les reportages où la traduction de la langue de Goldman Sachs n'est donnée qu'en sous-titrage et non oralement, ce qui oblige le téléspectateur à avoir l'œil rivé sur le bas de l'écran ? Et pourquoi tant de place à une future naissance royale en Angleterre, alors que des millions de Français ont d'autres préoccupations au quotidien et alors que cela ne représente guère plus d'intérêt pour eux que la naissance d'un panda dans un zoo ?

Alors que le monde artistique et culturel est infiniment riche et varié, les téléspectateurs ne peuvent-ils espérer qu'on leur servira autre chose que cette soupe insipide, toujours la même ? Les artistes qui s'expriment en français ou en d'autres langues doivent-ils disparaître ? Faut-il faire en sorte que ne puisse plus jamais apparaître un Georges Brassens, un Jacques Brel, un Léo Ferré, un Jean Ferrat, un Gilles Vigneault, un Robert Charlebois, un Félix Leclerc, et surtout pas la chanson à texte qui invite à la réflexion ? Alors que la devise de l'UE est « Unie dans la diversité », la majeure partie des chansons est en anglais, la place du français s'amenuise, et elle est inexistante dans les autres langues officielles de l'Union, comme si la chanson n'existait plus en italien, en espagnol, en grec, en allemand, en suédois, en polonais, etc.

Outre le choix de la diversité, le principe d'équité linguistique et culturelle, et à plus forte raison sociale et politique, est-il étranger à France 2 ? Faut-il dire désormais "France Two" ?...

Alors que certaines grandes surfaces vantent des produits de nos régions ou fabriqués en France, que vient faire l'anglais comme fond sonore ou dans la publicité ou pour des slogans ou des noms de produits ? L'inscription "Produce of France" sur des étiquettes se trouve le plus souvent comme tape-à-l'œil ou attrape-couillons sur des bouteilles de vin de qualité médiocre. C'est prendre les anglophones pur jus pour des ignares, alors que « Produit en France » ou «aProduit de France » est compréhensible pour toute personne non-francophone ayant un niveau même moyen de culture ? Est-ce aussi le choix de France ?

Le philosophe académicien et historien des sciences Michel Serres avait dit en 2005, dans le cadre d'une chronique de France Inter :

« Je pense qu'aujourd'hui il y a sur les murs de Paris il y a plus de mots anglais qu'il n'y avait de mots allemands pendant l'Occupation, et ça c'est quand même sous la responsabilité de ceux qui veulent bien le mettre, parce qu'il n'y a pas de troupes d'occupation aujourd'hui. Je les appelle des collabos. »

Comme je ne m'attends à aucune suite en dépit de votre bonne volonté personnelle, je place ce courrier sur les réseaux sociaux.

Veuillez agréer, Monsieur le Médiateur, (vous connaissez la suite)...

 

 

Protestation adressée au Médiateur de France 2 :

 http://info.france2.fr/mediateur/index-fr.php?page=plus-d-infos&id_article=233

et CSA : http://www.csa.fr/Services-en-ligne/Formulaire-de-contacthttp://www.franceinter.fr/contact

Merci d'envoyer une protestation, vous aussi, afin d'aller soutenir celle de notre correspondant.


 

 

 

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