Yamina Benguigui explique pour Gouvernement.fr comment la France peut jouer un rôle fondamental en incarnant de manière tout à fait renouvelée les valeurs de la francophonie.
Dans ses documentaires et ses films de fiction (1), Yamina Benguigui abordait le rapport à la langue à travers les thèmes de l’immigration, de l’insertion économique et de la mémoire. Ses œuvres ont été saluées, notamment pour leur regard sans clichés sur l’histoire de l’immigration, la vie des banlieues au quotidien, et celle des femmes en particulier. Son parcours de cinéaste sert aujourd’hui sa mission de ministre.
Quelle est tout d’abord votre définition et votre vision de la francophonie, que l’on a tendance, à tort, à limiter à la promotion de la langue française ?
Vous avez raison, la francophonie, c’est bien sûr la promotion de la langue française dans le monde, mais c’est plus que cela. Pour moi, le ministère de la Francophonie est un ministère d’influence au service des valeurs et des peuples de langue française. Les sujets sont nombreux. Je milite pour un espace francophone où les barrières à la mobilité s’estompent pour les étudiants, les artistes, les professeurs et les chercheurs.
Je m’attache aussi à défendre la vision d’une francophonie politique, une francophonie des droits de l’Homme. À ce titre, la France et les 77 pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) travaillent main dans la main. La langue est un vecteur, la langue est un ciment, mais elle est aussi un outil de promotion de la démocratie et de l'aide au développement.
Dans presque toutes les rencontres effectuées depuis le début du quinquennat, j’insiste en préambule sur le fait que la francophonie d’aujourd’hui s’incarne pleinement en étant « désencombrée » de la charge de l’histoire coloniale. C’est capital. La francophonie devient une chance économique et culturelle.
Le premier Forum des femmes francophones que vous avez organisé en mars dernier a mis en lumière la régression inadmissible de leurs droits dans certains pays. Comment la francophonie peut-elle prévenir les violences et garantir les droits des femmes ?
Ce forum a permis une avancée fondamentale : libérer la parole. Je reçois chaque jour des lettres de participantes qui me remercient d’avoir initié ce mouvement. Car il s’agit d’un véritable mouvement qui n’aurait pas vu le jour sans l’aide du secrétaire général de l’OIF, le président Abdou Diouf.
Aujourd’hui, nous lançons une deuxième phase, celle de l’action politique et diplomatique. Le prochain Sommet de la francophonie aura lieu au Sénégal à l’automne 2014. J’étais à Dakar lundi dernier pour rencontrer le président Macky Sall et les organisateurs du sommet. J’ai demandé à l’OIF, et les responsables sénégalais sont d’accord, que la question des droits des femmes soit une des priorités de cet événement. Il est temps que les chefs d’État et de gouvernement s’engagent. Il faut des actes.
Je me bats pour que le respect des droits des femmes soit inscrit dans les textes fondateurs de l’OIF. Et je ne suis pas seule dans ce combat : des milliers de femmes comptent sur nous.
Depuis votre prise de fonctions, vous avez effectué plus d’une trentaine de déplacements à travers le monde qui comprennent systématiquement un volet économique. Quels en sont les objectifs ?
La francophonie est un formidable levier de croissance et d’emploi pour les entreprises. Le problème c’est que beaucoup d’entrepreneurs n’en ont pas conscience ! Alors même que l’Afrique, très largement francophone, sera demain l’un des moteurs de l’économie mondiale !
L’appartenance à l’espace francophone favorise l’ouverture commerciale et stimule les échanges internationaux. À chacun de mes déplacements je demande à rencontrer les entrepreneurs et les dirigeants de filiales pour comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer sur le terrain. À Paris, je m’efforce de sensibiliser les patrons du CAC 40, mais aussi les patrons de PME.
Je fais un constat : être francophone offre un avantage compétitif face à des pays comme la Chine ou l’Inde. D’ailleurs, c’est en partie pour cela que la Chine se met de plus en plus au français. La francophonie est un investissement d’avenir, il ne faut pas le négliger.
Sur le territoire français, comment développez-vous la francophonie dans toutes les dimensions évoquées ?
Je mène une réflexion interministérielle, notamment avec mon collègue François Lamy en charge de la politique de la ville. Mon objectif c’est de ramener du français dans les territoires en souffrance. D’abord auprès des jeunes qui ne maîtrisent pas le « français du monde du travail ». Apprendre à rédiger une lettre de motivation, mener un entretien d’embauche ; c’est aussi cela le français. Je souhaite que les entreprises soient parties prenantes de ces formations. Car l’esprit de ce dispositif c’est du "gagnant-gagnant" pour les entreprises comme pour les apprenants.
La francophonie en France, c’est aussi mon souhait de généraliser ce que j’appelle l’École des mamans pour les mères immigrées qui ont trop longtemps été les oubliées de la République.
Le Gouvernement fait de la jeunesse une priorité. Quel est votre regard sur la perte de confiance des jeunes générations ? Un message à adresser aux jeunes de l’espace francophone ?
Chez les jeunes, il y a un vrai désir de francophonie. On le voit lors de grandes manifestations comme le Forum mondial de la langue française de Québec où des milliers de jeunes ont fait le déplacement en juillet 2012. Je sais que la période n’est pas facile, mais je sais aussi que leur soif d’engagement est intacte. Ce que je veux leur dire, c’est que la francophonie a beaucoup à leur apporter que ce soit en matière de formation, de carrière, d’échanges ou même de rencontres. La francophonie ce n’est pas accessoire : c’est le début d’une belle aventure.
(1) Inch’Allah Dimanche, Le Plafond de verre, 93, Mémoire d’un Territoire, Aïcha…
Le site personnel de Yamina Benguigui (http://www.yaminabenguigui.fr/) rend compte de son activité de réalisatrice et d'écrivain.