Sujet :

Quand les Français deviendront francophones

Date :

08/12/2014

Envoi d' Ivan Le Gallo  (courriel : ivan.legallo(chez)orange.fr)  

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Quand les Français deviendront francophones

Hervé Bourges et Michel Boyon

Hervé Bourges* et Michel Boyon. Les anciens présidents du Conseil supérieur de l'audiovisuel font valoir les enjeux à la fois culturels et économiques de la algue française.

 

À la veille du 15e Sommet de la Francophonie de Dakar, à l'encontre de tous les discours de résignation et de déclin, les pays francophones doivent en être convaincus : la francophonie est une force en marche ; elle est un prodigieux gisement d'énergie et de croissance. La langue française est conquérante : en 2050, le monde comptera 750 millions de francophones. Elle gagne du terrain en Chine, en Inde, au Brésil, en Argentine... L'Institut français, les établissements d'enseignement français à l'étranger, les Alliances françaises accomplissent une œuvre considérable. RFI, France 24, TV5 Monde, Monte Carlo Doualiya et les chaînes étrangères francophones fidélisent leurs publics par millions.

Le français véhicule une culture de référence, qui occupe une place éminente face à une mondialisation qui efface les différences par la consommation d'un sabir dérivé de l'anglais.

Mais la francophonie ne se limite pas à l'usage d'une langue ni à une expression culturelle. Sa force est à la hauteur des nouveaux enjeux économiques. Le continent africain, qui regroupera 80 % des francophones en 2050, s'est installé dans une croissance soutenue : entre 5 et 10 % par an, selon les pays. Il ne la doit plus guère aux cours des matières premières, mais surtout à l'expansion d'une classe moyenne qui accède à la consommation de masse. L'Afrique nourrit aujourd'hui la croissance de l'Afrique.

Le continent a brûlé les étapes du développement technologique. En 2000, il comptait moins de lignes téléphoniques fixes que le seul district de Manhattan ; il s'y est déjà vendu plus de 500 millions de téléphones mobiles.

On n'imaginait guère l'Afrique que comme une économie de production primaire ; les secteurs les plus créateurs d'emplois sont les télécommunications et les services financiers.

La langue française inspire aussi les valeurs portées par l'Organisation internationale de la francophonie. Elles sont une fenêtre ouverte pour les peuples privés de liberté, aspirant à l'égalité, notamment entre les femmes et les hommes, luttant contre les discriminations, contre les intégrismes et les fanatismes.

Or que constatons-nous en France ? Paradoxe de l'histoire, une trahison des élites droguées à l'anglomanie, trop sensibles à l'impérialisme anglo-américain. Notre langue est abîmée dans les médias, les entreprises, les administrations et même les institutions qui devraient la défendre. La loi Toubon est violée de toutes parts. Le français perd des places dans la vie scientifique internationale. Aux Jeux olympiques, il doit lutter pour conserver son rang de langue officielle à côté de l'anglais.

L'Organisation internationale de la francophonie, qui a œuvré de façon remarquable sous la conduite d'Abdou Diouf, doit porter encore plus haut et plus fort des positions communes sur les grands débats qui agitent notre monde : exigences démocratiques, respect de l'État de droit, indépendance des médias, liberté de la presse, défense du multilinguisme, diversité culturelle, développement économique partagé, enjeux écologiques planétaires.

Il faut donner plus de visibilité à la francophonie. Par exemple, la création d'un Erasmus francophone permettrait une meilleure mobilité des étudiants, de nouveaux échanges entre enseignants et chercheurs. Il importe aussi de tirer tout le profit des nouvelles techniques d'enseignement à distance. La francophonie doit soutenir ses membres dans la production de contenus numériques : audiovisuel, musique, jeux vidéos. Dix-sept pays africains francophones vont passer prochainement à la télévision numérique terrestre ; leur besoin de programmes sera multiplié par 10 ou 20. Le dynamisme de la production devra s'appuyer sur le Réseau francophone des régulateurs des médias (Refram), qui contribuera à la constitution d'un grand marché francophone des programmes pour la télévision comme pour l'Internet.

Aux antipodes d'un esprit d'assistanat aujourd'hui révolu, cette mobilisation économique et culturelle de la francophonie emprunte les voies du codéveloppement en mettant en commun les expériences et leurs bénéfices. Elle doit s'accompagner d'une forte mobilisation politique qui fait encore défaut.

La langue française n'est pas ringarde. Elle est vivante et se nourrit d'autres langues nationales. Elle se projette vers tous les horizons du monde. La francophobie contribue à la promotion de toutes les langues. La France a la responsabilité d'agir puissamment pour que les pays francophones profitent du rayonnement du français. Au-delà des clivages politiques, au-delà des rivalités nationales, nous nous retrouverons autour de nos valeurs essentielles afin de construire cette « civilisation de l'universel » que dessinait Senghor.

 

*Auteur de « Pardon my French. La langue française, un enjeu du XXIe siècle » (Karthala, 278p., 2014).

 

 

Source : Le Figaro, le vendredi 28 novembre 2014

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