Sujet :

Marketing, mercatique et Cie

Date :

04/11/2003

De Jacques Melot (jacques.melot@isholf.is)


Discussion sur le réseau à propos des mots anglais introduits dans la langue

 

  Mme Anna VICENTE (Anna.Vicente@wanadoo.fr) :

Personnellement, je préfère "marketing" ...

- Dire que l'on est « mercaticien »

- ou « mercaticienne », cela me gênerait quelque peu ...

- Ça sonne assez « barbare » ...



  Réponse  de M. Jacques MELOT :

En dehors du fait que tout ce qui à trait au commerce et à l'argent ne me passionne guère, donc aussi l'évocation de la mercatique, je comprends mal votre réaction, comme on dit - car, en fait, je ne la comprends, hélas, que trop bien - : « barbare » se retrouve dans « barbarisme », qui, lorsque la langue d'emprunt est l'anglais, se spécialise en « anglicisme » ; de plus, compte tenu de la définition de ce qu'étaient les Barbares, le mot « mercatique » est tout sauf barbare, puisqu'il s'agit d'une formation latine !

Quel est donc ce vent de folie qui pousse les Français à cracher sur leur propre langue, alors que par ailleurs ils s'y accrochent, prétendant même l'aimer et vantant sa beauté à qui veut l'entendre ?

Quelle est cette morosité qui leur fait la voir dans le même temps si petite, si confinée, comme désormais inapte à engendrer son propre vocabulaire, en un mot comme stérile ?

A-t-on songé que si nous n'avions pas l'anglais pour nous fournir un mot, dans la mesure où il est nécessaire - ce qui est loin d'être toujours le cas -, il nous faudrait bien en forger un par nos propres moyens, comme nous avons forgé au cours des siècles l'essentiel de notre vocabulaire. Les emprunts ont toujours existé et constituent une des sources d'enrichissement de notre vocabulaire (ce qui est  vrai pour toute langue), mais que maintenant l'anglais ait tendance à pourvoir systématiquement à son renouvellement et à son accroissement, et ce, qui plus est, en trouvant naturel d'aller y puiser d'emblée, est un phénomène d'une tout autre nature et pour le moins alarmant. À supposer que la langue française soit désormais dans l'incapacité réelle de se renouveler, pourquoi alors ne pas aller puiser non seulement dans l'anglais, mais aussi dans des langues plus puissantes du point de vue des possibilités de composition ou très riches, tel l'islandais, l'allemand, le suédois, le russe, l'arabe, le chinois, etc., pour finalement en revenir à évoquer, parmi les choix possibles, le latin et le grec, qui sont les sources naturelles de notre langue ? Cette misère dans le choix de la source ne fait qu'étaler au grand jour l'indigence linguistique sans borne d'un Français moyen dont les connaissances en langue se réduisent à quelques bribes d'anglais, bribes qu'il arbore d'autant plus volontiers qu'elles sont plus rudimentaires.

S'il existe des mots français laids ou qui nous semblent laids, il n'y a là en aucun cas un critère décisif pour les rejeter, sinon prioritairement au profit de synonymes eux-mêmes français. Ces mots sont construits sur d'autres mots français ou sur des racines par des procédés ayant déjà fourni la plus grande partie de notre vocabulaire et ils sont ce qu'ils sont, donc acceptables s'ils ont été bien formés et répondent à quelques autres critères parmi lesquels l'esthétique ne figure pas. Au lieu de ça que voit-on maintenant ? Des mots comme « cutter » que l'on a emprunté tel quel pour deux raisons : la première est que l'anglais présente commercialement mieux et flatte l'ego (« Je suis apte à utiliser de l'anglais, vous vous rendez compte un peu ! », la seconde est qu'aucun mot ne s'est imposé sur le moment à l'esprit pour traduire. L'usage commercial et le matraquage publicitaire à fait le reste. Il n'en faut pas plus que ça ! Même chose pour l'anglicisme « portable » utilisé au lieu de « portatif », qu'il a même tendance à éliminer, ce qui est un comble.

Les francophones qui se félicitent de cet emprunt et qui iront même le défendre envers et contre tout, se rendent-ils seulement compte que ceux qui ont introduit le terme « cutter » en anglais l'ont forgé dans leur propre langue de la manière la plus naturelle qui s'offrait à eux, par simple dérivation, comme nous aurions pu le faire dans la nôtre aussi bien, et que le résultat est à leurs oreilles aussi prosaïque et sans panache qu'on peut l'imaginer, sans qu'ils en fassent pour autant une jaunisse : le verbe "cut", couper, fournit par dérivation « cutter », qui, par transposition au français, fournit, exactement de la même manière, « coupeur » (par exemple). Ici, il n'y a même pas l'excuse de la difficulté à produire un dérivé, lequel nous est fourni sur un plateau, en français, comme en anglais. Ah, mais mon bon monsieur, c'est que « coupeur », ça n'a pas le prestige technologique de « cutter » ! Pensez donc ! C'est aussi oublier que nous avons en français le terme « coupoir », dérivé accepté et en usage depuis bien longtemps, malgré son apparence banale et prosaïque à souhait. Il faut bien se rendre à l'évidence que lorsqu'un anglophone entend « cutter » l'impression produite sur lui est, mutatis mutandis, sensiblement la même que chez un Français qui entendrait « coupeur », tant en ce qui concerne la banalité que la fonctionnalité du terme. Quant aux connotations du terme résultant, elles peuvent avoir une importance déterminante, mais je ne pense pas que ce soit le cas dans l'exemple choisi. Et quand bien même il en serait ainsi, qu'il suffirait d'en prendre un autre : ils ne manquent pas, c'est le moins qu'on puisse dire. Une dernière
objection peut-être serait que « coupeur » existe déjà en français avec un sens différent, ce à quoi je répondrais qu'un même mot peut avoir sans inconvénient des acceptions différentes, ce qui précisément est le cas en anglais avec « cutter », qui inclut le sens français actuel (qui plus est conjointement avec le sens d'instrument tranchant) et d'autres encore, eux, inexistant dans notre langue
(« Cutter. n. 1. A person or thing that cuts, esp. a person who cuts cloth for clothing. 2. A sailing boat [...]. 3. A ship's boat [...]. 4. a small lightly armed boat [...]. 5. A pig weighting between 68 and 82 kg [...]. » Collins English Dictionary).



Mme Anna VICENTE répond :

Quelle belle théorie et démonstration !

Mais je préfère "marketing" à « mercatique » tout simplement parce que mes stagiaires comprennent ce mot, et que si par amour de la langue ou par purisme je leur enseignais « mercatique », les français avec qui ils travaillent ne les comprendraient pas ! [...]

En revanche, je ne fais pas de concession pour « logiciel », « ordinateur », « réseau » : les français les utilisent et n'utilisent pas les mots anglais, donc je les enseigne et j'insiste !


Réponse  de M. Jacques MELOT :

Eh bien, en ce qui concerne la mercatique, les Français utilisent ce terme en concurrence avec « marketing », même si ceux qui le font sont une minorité. (Remarque en passant : l'élite est toujours en minorité, ne voulant pas insinuer par là que « mercatique » est utilisée par les élites, mais que le fait de constituer une minorité n'est pas synonyme d'avoir tort, comme trop souvent cette idée apparaît pourtant en filigrane dans divers propos, et ce, de plus en plus souvent.)

Google nous prête encore une fois main forte et permet notamment de mettre en évidence que des entreprises qui se respectent préfèrent employer « mercatique », sans doute confortées, voire guidées dans ce choix par l'aval des organismes officiels et du dictionnaire. Nous y découvrons aussi que le terme est employé dans des cours d'économie ou de commerce, même s'il l'est parfois en alternance avec « marketing ».

Autrement dit, il est tout simplement faux de prétendre que ce terme n'est pas compris : il est connu et compris par l'ensemble de la profession en France, même s'il n'est pas utilisé par tous et que son usage est pour le moment minoritaire.

C'est donc une erreur franche que de ne pas à l'enseigner pour le français langue étrangère des affaires. Ni plus ni moins.


Mme Anna VICENTE :

Et je fais de même avec "e-mail", que je préfère à « courriel », "management" que je préfère à « gestion » dans quelques cas, "timing" que je préfère à «aminutage »...

 


Réponse  de M. Jacques MELOT :

C'est bien ce que je vous reproche (gentiment). En effet, contrairement à une explication sur laquelle on aurait peut-être tendance à se précipiter, ce n'est pas parce qu'un terme est plus couramment utilisé qu'un autre qu'on se fait mieux comprendre en l'employant : les mots utilisés dans la presse, les revues, à la télévision, etc., de manière générale par les personnes ou les groupes qui s'adressent au public, ne sont, dans la plupart des cas, pas choisis en ayant en vue une intelligibilité maximale et donc pas pour leur efficacité du point de vue de la communication, mais suivant d'autres critères, souvent moins avouables, ou encore en l'absence de tout critère.

J'en ai donné la démonstration dans un autre forum, il y a peu de temps. Le mot « casting » (vocabulaire du spectacle), par exemple, est plus fréquemment utilisé en France que « distribution », et ce, alors qu'il est compris par un nombre plus faible de personnes dans le public. Même si vous voulez restreindre dans un enseignement l'usage de ce terme à la profession, réservant le terme français pour un usage hors de la profession, ce n'est pas une bonne idée : « distribution » est compris par tous les professionnels, comme il l'est spontanément du profane, qui, lui, par contre, souvent ne comprends pas « casting ». Il s'agit là de faits bien réels, pas de suppositions ou de théories fumeuses.

En bref et contrairement à une idée reçue, l'emploi de mots anglais en français, sous le prétexte de l'usage, va souvent à l'encontre du désir de communiquer et de se faire comprendre de tous au mieux. Cela répond, par la même occasion, à plusieurs messages reçus depuis dans le forum.




Mme Anna VICENTE 
:

Pour moi ce n'est pas la question de savoir si je préfère ou pas, mais une question d'enseigner un langage compréhensible par nos contemporains...

Mais je préfère "marketing" à « mercatique » tout simplement parce que mes stagiaires comprennent ce mot, et que si par amour de la langue ou par purisme je leur enseignais « mercatique », les français avec qui ils travaillent ne les comprendraient pas !


 

Réponse  de M. Jacques MELOT :

  Il y a là deux choses, la seconde qui n'a pas besoin d'être détaillée (encore que...), et la première qui, elle, en a plus besoin : voulez-vous dire qu'ils comprennent ce mot avant de l'avoir rencontré dans votre cours de français ? Je suppose qu'il s'agit de personnes à qui vous enseignez le français commercial comme langue étrangère.

Sans préjuger de la réponse à cette question, je poserai la suivante : depuis quand serait-il légitime qu'un élève préfère à un mot d'une langue qu'il apprend, un mot d'une autre langue sous un aussi extraordinaire prétexte, à savoir que ce mot étranger s'applique à la même chose et qu'il le connaît déjà ?! C'est comme préférer le mot "computer" à « ordinateur » sous prétexte que « tout le monde connaît l'anglais » et qu'on se fera mieux comprendre en utilisant « computer » ! Avec une telle disposition d'esprit, on n'entreprend tout bonnement pas d'apprendre une langue étrangère !

Cela me fait irrésistiblement penser à ces touristes qui s'offusquent de ne pas trouver chez nous la même nourriture que chez eux ou les mêmes structures sociales : dans ce cas on ne voyage pas, on reste chez soi !

Vous me rétorquerez, comme ci-dessous, que le cas du mot « ordinateur » est différent, car il s'agit d'un mot dont l'usage est général en français, contrairement à « mercatique », d'usage minoritaire. La réponse à cette question est dans un de mes messages précédents concernant l'usage réel de « mercatique ». Les deux cas ne diffèrent que quantitativement et non pas qualitativement.

On peut prendre, si vous préférez, l'exemple intermédiaire de « courriel ». Allez-vous saisir le prétexte que « e-mail » est plus universellement compris ou utilisé, pour choisir de l'enseigner à la place de « courriel » ? Le faire, c'est mettre l'élève étranger dans la situation suivante : ayant appris à désigner ce type de courrier en français par un mot anglais, il sera, dans la pratique effective de la langue, très rapidement confronté à un mot français qu'il ne connaîtra pas et qu'il devra donc apprendre, là où il saura nommer l'objet en anglais à la place. Et il le fera au besoin grâce à votre enseignement, s'il ignorait auparavant ce terme anglais. Admettez tout de même que ce n'est pas à vous à pallier dans un cours de français aux éventuels déficits en anglais de vos élèves, et ce, par dessus le marché, au dépens du français !

C'est le monde renversé ! Il est normal d'enseigner le mot français, et de laisser l'élève découvrir que les Français, souvent, utilisent le mot anglais à la place. Je dirais même plus, il n'y a aucune raison pour lui apprendre simultanément les deux mots : le mot « e-mail » n'est pas un autre mot français pour « courriel » : c'est, encore une fois, un mot anglais souvent utilisé en français pour désigner la même chose. En tant que professeur de français, il me semble qu'il vous revient naturellement de ne pas œuvrer en faveur de l'anglais pour, dans cette concurrence de deux termes, participer - tant soit peu - à faire triompher « e-mail » contre le terme français, a fortiori lorsque ce dernier connaît un usage non négligeable comme c'est le cas.

Cela s'applique exactement de la même manière au cas de «mercatique» dans le cadre de l'enseignement du français des affaires à des étrangers, car, dans ce domaine, tout professionnel connaît et comprend le terme « mercatique », même s'il ne l'utilise pas nécessairement. L'élève découvrira ensuite par lui-même que les Français utilisent souvent le terme « marketing » à la place, terme qu'en principe, du fait même de la spécialité, il connaît déjà et qui ne sera donc à l'origine d'aucune difficulté.