Sujet : Qui ose encore parler français ?
Date : 03/12/2003
De : Jacques Poisson (jjlp@sympatico.ca)

Réflexions de M. Denis Monière, Professeur de Science politique à l'Université de Montréal

Voici quelques années, on nous disait que l'anglais était simplement une langue de communication indispensable pour les sciences « dures », physique, chimie, médecine, génie... or l'usage de l'anglais devient aussi la norme dans les sciences dites molles comme l'illustre le récent congrès mondial de science politique.

Fondée à Paris, il y a plus d'un demi-siècle, l'Association internationale de science politique organise tous les trois ans le Congrès mondial de science politique qui a eu lieu cette année à Durban en Afrique du sud, du 29 juin au 4 juillet.

Cette organisation scientifique internationale a inscrit dans ses statuts deux langues de communication, l'anglais et le français, ce qui était à l'époque une reconnaissance du prestige international de la science politique française qui était aussi féconde et dynamique que la science politique anglo-saxonne.

Or, l'usage du français est battu en brèche et tend de plus en plus vers l'insignifiance dans cette association à tel point que de nombreux membres contestent ouvertement le « statut privilégié » accordé au français. Il est difficile de leur donner tort, car les politologues de langue française ont eux mêmes déserté leur langue maternelle. Sur les 1 244 communications présentées, nous en avons recensé à peine 36 qui furent prononcées en français soit une proportion mirobolante de 2,9%.

Les deux principales communautés de politologues de langue française soit la France et le Québec ont abdiqué et ont choisi l'anglais comme langue de communication. Ceux qui ont le plus contribué à la présence du français furent les Africains puisque 55% des communications faites en français furent prononcées par des politologues africains. Les Français arrivent au deuxième rang avec seulement 27%. La participation québécoise au rayonnement du français fut particulièrement insignifiante, les politologues québécois présentèrent autant de communication en français que les Brésiliens, soit 2.

Ce sont les Africains qui assurent l'existence internationale de la langue française. Mais pour combien de temps ? Ne seront-ils pas tentés d'imiter leurs collègues français et québécois et de présenter leurs prochaines communications en anglais pour être admis dans le cercle de la renommée? Pourquoi, à long terme, le choix de leur langue de communication se différencierait-il de celui des étudiants français et québécois qui sont incités à présenter leurs communications en anglais par leurs professeurs ?

Les professeurs français ne se sentent pas responsables du rayonnement international du français et se soucient uniquement de leur rayonnement personnel. Ainsi à l'atelier MT3-214, 3 des 5 participants étaient de réputés professeurs français et ils ont choisi de présenter leurs travaux en anglais. Et pourtant le citoyen lambda doit se dire qu'ils ne se sont pas rendus si loin à leurs propres frais, qu'ils ont été soutenus par des fonds publics. Sa perplexité ne peut que s'accroître s'il se souvient que le Premier ministre Raffarin a émis une directive le 14 février 2003, rappelant les services publics à leur devoir de promotion du français et plus spécifiquement l'importance de la diffusion des contenus scientifiques en français. Il y a loin des paroles aux actes.

Et pourtant, ces choix qu'on dit individuels ont des effets collectifs et provoqueront à termes le dépérissement des revues scientifiques de langue française. Les communications présentées dans les congrès et les colloques seront par la suite soumises pour publication aux revues de la discipline. Or, moins il y a de communications en français, moins il y aura ultérieurement d'articles soumis aux revues et celles-ci auront de moins en moins de choix dans le processus de sélection. Benoît Godin a établi par exemple que « plus de 80% des universitaires québécois publient la majeure partie de leurs articles dans des revues étrangères et le plus souvent dans les revues américaines ». (« Les pratiques de publication des chercheurs : les revues savantes québécoises entre impact national et visibilité internationale », Recherches sociographiques vol. XLIII, no. 3, 2002, p. 490)

Dès lors, le vivier se raréfiant, la qualité des articles ira en déclinant et les revues elles-mêmes seront dévalorisées par la communauté scientifique elle-même. Par ailleurs, les revues anglophones, recevant un très grand nombre d'articles, seront plus sélectives et surclasseront les autres revues en devenant les principales revues de référence de la discipline. Moins de qualité signifiera pour les revues francophones moins de crédibilité et moins de demandes et moins d'abonnements ce qui les mènera à la fermeture. Celles qui survivront ne pourront le faire qu'avec le soutien des fonds publics. Ainsi, en bout de piste, ce sera la collectivité qui devra assumer le coût culturel et économique des choix individuels. L'exemple des choix linguistiques des politologues de langue française montre qu'il y a des enjeux économiques dans la lutte pour la préservation de la diversité culturelle étant entendu que celle-ci n'a de sens que par la diversité linguistique.

 

                

(Article publié dans la revue de l'Action nationale, en octobre 2003)

 

 M. Jacques Poisson est le président du Mouvement Estrien pour le Français : 

www.mef.qc.ca