Sujet :

Au sujet de la traduction des titres des films

Date :

08/12/2012

De Martine Quise  (courriel : marquise41(chez)aliceadsl.fr)  

Mesure anti-pourriels : Si vous voulez écrire à notre correspondant, remplacez « chez » par « @ ».

Huit titres de films passés au rayon X

Pourquoi "The Darjeeling Limited" est-il devenu « À bord du Darjeeling Limited » ? Et pourquoi "The Iron Lady" (« La Dame de Fer ») a-t-il été traduit et pas "Somewhere" ? Explications….

La traduction de titres de films est loin d’être une science exacte. Les distributeurs – qui en ont la charge – s’arrachent les cheveux lors de séances de brainstorming (Note de l'Afrav : « de discussion », en français) pour savoir s’il vaut mieux conserver le titre original ou pas, s’il est préférable d’inventer un nouveau titre ou non. Un vrai casse-tête pour lequel il n’existe aucune règle préétablie, que certains distributeurs essayent de résoudre à l’aide de sondages, mais qui, souvent, se dénoue au feeling (Note de l'Afrav : « au coup de coeur », en français) et à la priorité marketing (Note de l'Afrav : « commerciale », en français) (« qu’est-ce qui marchera le plus ? » est LA question à se poser). Les distributeurs ont également la charge des titres français qu’ils doivent décider de garder ou de changer, au même titre que pour les films étrangers. Rencontre avec trois distributeurs pour une séance de décryptage.

1) Royal Affair : la traduction subtile

À la vue du titre original de ce film suédois (En Kongelig Affære), on comprend pourquoi il a fallu le traduire pour le public français. Ses distributeurs français (Jour 2 Fête et Chrysalis Films) ont repris le titre utilisé pour la diffusion anglo-saxonne - A Royal Affair - en supprimant le "a" anglais. Une disparition subtile qui n’est pas due au hasard. « Quand on dit "a royal affair" il y a une connotation un peu sexuelle qui ne colle pas au film, ça nous a dérangé et ça aurait pu être mal interprété. On a préféré "royal affair", qui reflétait plus le panache du film » explique Pierre-François Bernet de Chrystalis Films. Subtil, on vous dit.

Entre temps, les équipes des deux distributeurs ont cherché un autre titre au film. « Une affaire royale » a immédiatement été écarté et, dans la mesure où aucune autre idée n’a été trouvée, ils ont opté pour le titre que l’on connaît. Pour Pierre-François Bernet, « les mots "royal affair" sont quasiment les mêmes qu’en français ». « On s’est donc dit que les gens allaient s’y retrouver », conclut-il.

Ça fonctionne pour : les films « subtils », léchés, soignés dans leurs moindres détails, souvent indés (Note de l'Afrav : « indépendants »).

On pense à : "Up In The Air", de Jason Reitman, qui a été amputé en France de son "up" pour devenir "In the Air" et à "Four Lions", de Chris Morris transformé en "We Are Four Lions".

2) The Ghost Writer : le problème conjoncturel

À sa sortie en 2010, qui n’a pas pensé que "The Ghost Writer" parlait d’un écrivain-fantôme ? Aucun revenant en vue pourtant dans ce film de Roman Polanski (Note de l'Afrav : un Français, non francophone  ?). Après la projection, en ouvrant un dictionnaire anglais-français on a découvert que "ghost writer" fait référence à un « écrivain-nègre ». Pourquoi dans ce cas avoir conservé le titre original ? « Appeler un film "le nègre" ce n’est pas terrible », explique Thierry Lacaze, directeur marketing (Note de l'Afrav : « commercial », en français) chez Pathé Distributions. On est d’accord.

Mais un autre titre français existait : celui de la traduction française du roman de Robert Harris - L’homme de l’ombre - dont le film est tiré. Problème : il faisait étrangement écho à la situation complexe dans laquelle se trouvait le réalisateur à l’époque. « Polanski était lui-même à l’ombre à ce moment-là. C’était donc hors de question de se retrouver face des jeux de mot. Je voulais éviter que la presse joue avec ce titre », rappelle Thierry Lacaze. Accusé d’avoir violé une mineure dans les années 70, le réalisateur avait été arrêté fin 2009, alors qu’il se rendait à un festival de cinéma en Suisse, et placé en résidence surveillée dans son chalet de Gstaad, en attendant de savoir s’il allait être extradé vers les États-Unis ou non. « Si le film sortait aujourd’hui, il aurait probablement un titre différent », ajoute Thierry Lacaze.

Ça fonctionne pour : les films dont les titres rentrent en écho avec la réalité/l’actualité.

3) Morse : le titre-création

À l’inverse, les distributeurs décident parfois de créer un nouveau titre de toutes pièces. C’est ce qui est arrivé au film suédois "Låt den rätte komma in", qui raconte une amitié entre un petit garçon et une petite fille vampire et qui est sorti en 2009. Pour son distributeur Chrysalis Films, il était hors de question de conserver le titre original pour la distribution française. La traduction anglaise de ce titre, "Let the Right One In" (qui fait référence à la phrase que l’on doit prononcer, dans la mythologie, pour inviter un vampire à rentrer dans une maison) a été utilisée pour sa diffusion internationale. Mais ce titre est difficile à prononcer pour un francophone et sa traduction en français (« laisse moi entrer ») « n’est pas démente », estime Pierre-François Bernet, qui a préféré tabler sur un autre titre.

Mais pourquoi « Morse » ? « Dans le film les deux enfants, qui sont voisins, communiquent en morse en tapant du doigt contre le mur et ça évoque aussi la morsure du vampire. On a trouvé ça joli de l’appeler comme ça », explique Pierre-François Bernet. Une création originale donc, qu’il justifie en invoquant les risques qu’impliquent la sortie d’un film, et qui nécessitent de « donner les pleins pouvoirs aux distributeurs pour qu’ils communiquent au mieux sur le film ».

Ça fonctionne pour : les films dont les titres originaux sont atroces et/ou incompréhensibles et les films dont les distributeurs se lâchent, parfois un peu trop.

On pense à "She Wore a Yellow Ribbon" qui a été transformé en « La charge héroïque », ou "The Deer Hunter" traduit par « Voyage au bout de l’enfera».

4) La Piel que habito : pour un public cinéphile

Tout comme "The Ghost Writer", le titre du dernier film de Pedro Almodovar n’a pas été traduit pour sa diffusion en France. Mais les raisons sont ici différentes. Sa traduction littérale (« la peau que j’habite ») a été tout de suite écartée, parce qu’elle sonnait mal, mais aussi parce qu’elle pouvait « donner lieu à des jeux de mots grivois », avance Thierry Lacaze de Pathé Distributions, qui admet que conserver un titre original et aussi long est une réelle prise de risque. « Le grand public peut passer à côté parce qu’il ne comprend pas ce que ça veut dire », explique-t-il. Pathé a malgré tout décidé de garder le titre espagnol, car il a des chances de rencontrer le public visé par ce type de production. « Ce film est plus difficile que les précédents opus d’Almodovar, et il s’adresse à une cible plus cinéphile qui a l’habitude de voir les films en VO. Il y avait donc moins d’implications négatives dans le fait de garder le titre original », détaille Thierry Lacaze. Les films majoritairement distribués en VO – qui ciblent, donc, un public assez cinéphile – garderont, dans l’ensemble, leurs titres originaux. La « marque Almodovar » est aussi un élément déterminant dans le choix de ce titre. « On parle d’un auteur très connu. Peu importe le titre de son film, les gens qui le connaissent vont aller voir "le dernier Almodovar" », assure Thierry Lacaze.

Mais l’usage (et le business (Note de l'Afrav : « les Affaires », en français)) veulent que les titres de films grand public étrangers soient traduits. Ce qui explique que Pathé n’a pas hésité un instant à troquer "The Iron Lady" pour « La Dame de fer ».

Ça fonctionne pour : les films indés (Note de l'Afrav : « indépendants »), d’autant plus si leurs réalisateurs sont de super-stars ou de super-stars pour un certain public de cinéphiles fanatiques.

On pense à : Sofia Coppola (The Virgin Suicides, Lost in Translation…) et "Damsels in Distress", de Whit Stillman.

5) Somewhere : le titre court

Parfois, le titre d’un film n’est pas traduit parce qu’il est court. « Quand il s’agit de titres courts, il s’agit plus de marques qu’autre chose. Comme pour "Seven", c’est un titre court donc emblématique », explique Thierry Lacaze. C’est le cas pour "Somewhere" de Sofia Coppola, mais aussi pour "Volver", de Pedro Almodovar.

Ça fonctionne pour : les titres courts, emblématiques qui claquent et dont la signification s’efface au profit du son, de la forme.

On pense à : "Looper", de Rian Johnson, "Twixt", de Francis Ford Coppola, "Bachelorette", de Leslye Headland, "Brothers", de Jim Sheridan.

6) A bord du Darjeeling Limited : l’ajout made in France

En anglais, le film de Wes Anderson s’appelle tout simplement "The Darjeeling Limited". Pourquoi rajouter « à bord » ? « On ne pouvait pas garder le titre original parce que quand on le lisait trop vite, ça sonnait trop comme « thé Darjeeling », explique Thierry Lacaze, qui travaillait avant chez Fox Searchlight, le distributeur de ce film. Il avait également estimé à l’époque que le préfixe « à bord » participait à l’idée de voyage, très présente dans cette histoire de frères embarquant à bord d’un train pour un périple en Inde. Après avoir bataillé avec Wes Anderson, qui n’était pas convaincu par cette traduction (« il trouvait qu’"à bord" se rapportait plus à un bateau qu’à un train »), le titre original a été modifié. Mais, attention, « il ne faut jamais faire ça dans le dos du cinéaste ! », précise Thierry Lacaze, qui assure qu’un dialogue avec le réalisateur est toujours possible.

Ça fonctionne pour : les titres qui désignent des lieux, des choses avec un nom propre qu’on ne connaît pas en France, qui pourraient prêter à confusion ou ne pas nous parler.

On pense à : "Zombieland" ou "Gattaca" (devenus respectivement « Bienvenue à Zombieland » et « Bienvenue à Gattaca »).

7) La saveur de la pastèque : le titre attractif

Ce film franco-taïwanais réalisé par Tsai Ming-Liang et sorti en 2005 avait d’une part un titre taïwanais et d’autre part un titre anglais, "The Wayward Cloud" (« les sentiments incontrôlables ») Son distributeur français, Wild Bunch, n’a opté pour aucun des deux, préférant doter ce film au fort penchant érotique d’un titre plus attractif, plus en accord avec son sujet, histoire de lui assurer un buzz (Note de l'Afrav : « un succès », en français) hexagonal. Toute la communication française a donc été réalisée autour de la pastèque, explique Alexandre Cerf de Wild Bunch.

Ça fonctionne pour : les titres rédhibitoires, dont la simple lecture nous endort. Les titres des films un poil érotiques, souvent interdits au moins de seize ans, qui ne collent pas avec l’atmosphère moite de leur sujet.

On pense à : "Wild Things", pourtant déjà attractif, transformé en "Sex Crimes", et à "Cruel Intentions" traduit par "Sex Intentions". À croire que les Français ont l’esprit mal tourné.

8) Very Bad Trip : le clin d’œil cinéphile

En VO, "Very Bad Trip" ne s’appelle pas, comme on pourrait le croire, "Very Bad Trip", mais "The Hangover". Pourquoi traduire un titre anglais en anglais ? Tout d’abord, parce que tous les Français ne savent peut-être pas que "hangover" signifie « gueule de bois », contrairement à "very bad trip" – "trip" étant rentré (Note de l'Afrav, « entré ») dans le langage parlé (exemple : « je me paye un trip » (Note de l'Afrav : à Alès, on se paye des « tripes » !)). Ensuite, parce que "Very Bad Trip" est un clin d’oeil à "Very Bad Things", un film de 1998 avec Cameron Diaz, dans lequel un enterrement de vie de garçon tourne là aussi au cauchemar. « C’est exactement la même histoire d’enterrement de vie de garçon qui part en cacahuètes. "Very Bad Things" avait marqué pas mal de gens à sa sortie. Quand j’ai entendu le titre "Very Bad Trip", j’ai donc su de quoi ça parlait », raconte Romain Dat, de "Wild Bunch" (qui n’est pas le distributeur du film).

Ça fonctionne pour : les films populaires, mais pas si bêtes, les films au fort potentiel buzzable (Note de l'Afrav : « d'entrées », en français) et ceux qui ont des noms qui se ressemblent.

On pense à : les exemples du point 7, mais aussi à Bons baisers de Bruges (In Bruges) dont le titre français semble être un clin d’œil au James Bond «aBons baisers de Russie » (From Russia With Love), qui semble aussi avoir inspiré les distributeurs pour « Madagascar 3 », « Bons Baisers d’Europe » (Madagascar 3: Europe Most Wanted).

par

 

 

Source : lesinrocks.com, le 6 décembre 2012

Possibilité de réagir sur :

http://www.lesinrocks.com/2012/12/06/cinema/huit-titres-films-passes-rayon-x-11329680/

 

 

********************************

 

Réaction de Régis Ravat :

Apparemment, selon l'article, les distributeurs s’arrachent les cheveux lors de séances de discussion pour savoir s’il vaut mieux conserver ou pas le titre original non francophone d'un film et s’il est préférable d’inventer, ce faisant, un nouveau titre ou non. Je pense que ces messieurs, dames ne devraient pas être obligés de se poser une telle question, car la moindre des choses pour un film diffusé en France, c'est qu'il ait un titre en français, ne serait-ce que par politesse vis à vis des spectateurs qui vont aller le voir, ne serait-ce que pour leur droit d'être informés dans leur langue et enfin, ne serait-ce que par respect de la langue de la République qui est le français.

RR

 

À vous de réagir...

 

 

 

 

Haut de page