Sujet :

Debout pour les langues

Date :

15/03/2012

De l'Observatoire Européen du Plurilinguisme (OEP) (courriel : contact(chez)observatoireplurilinguisme.eu)

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Debout !

La crise dite mondiale, mais qui est d'abord une crise occidentale, ne devrait pas encourager le repli sur soi mais inviter plutôt au dépassement de soi.

Brocarder le néo ou ultralibéralisme est presque devenu un lieu commun. Fiasco économique, c'est évident : 30 ans de domination d'une pensée économique déjugée et discréditée par les faits; fiasco social par l'explosion des inégalités ; fiasco civilisationnel : démocratie subvertie de l'intérieur par les oligarchies politico-financières, exacerbation de l'individualisme et du profit comme ressort, sacralisation du marché comme ultime instance de régulation de la vie politique, économique, sociale et culturelle, absorption du politique et du culturel par l'économique, abaissement de l'État et établissement de la loi de la jungle, déstructuration du tissu social, négation de la culture...

Le procès est facile à dresser, mais le vrai sujet est d'en sortir. C'est la relation entre l'économique, le politique et le culturel qui doit être modifiée. Il existe mille et une façons de réguler, mille et une façons de faire de la mondialisation. Avant tout, sortir de la pensée unique et éviter d'être agent conscient ou inconscient de ce qui fut vanté comme un « avenir radieux » (on se souvient du célèbre ouvrage d'Alexandre Zinoviev l' « Avenir radieux » et du non moins célèbre et prémonitoire ouvrage de l'essayiste Alain Minc,  « la Mondialisation heureuse »).

Les responsables politiques et commentateurs ont souvent leur horizon limité au court terme.

Dans un article publié par le journal MailOnline, sous le titre "Why do the English need to speak a foreign language when foreigners all speak English?", le chroniqueur David Thomas pose la question de l'utilité d'apprendre les langues étrangères quand l'anglais est parlé dans le monde entier. Finalement, il fait l'éloge des petits Anglais que les langues étrangères fatiguent et dont ils ne comprennent pas l'utilité.

La conclusion a été tirée dès 2004 par un gouvernement courageux et clairvoyant : c'est ainsi qu'avait été abaissé à 14 ans l'âge jusqu'auquel l'enseignement des langues vivantes est obligatoire dans les établissements scolaires britanniques.

À notre avis, il y a bien d'autres domaines où ce genre de logique pourrait être appliqué. Car si l'on a longtemps nié le fait, il est aujourd'hui reconnu que le niveau scolaire dans la plupart de nos démocraties est en baisse sans que l'on sache réellement pourquoi et sans que soient déployés des efforts de recherche significatifs pour élucider ce mystère et mettre en œuvre les politiques correctives. Le niveau baisse non seulement en langues vivantes, mais aussi en mathématiques et en langue maternelle. Ce n'est pas du catastrophisme, c'est un fait aujourd'hui officiellement reconnu notamment dans le programme 2010-2020 de l'Union européenne. Donc, si l'on suit le raisonnement, un gouvernement courageux et clairvoyant devrait préconiser la réduction des enseignements en mathématiques et en langue tout court (les mathématiques ne sont elles pas un langage ?). Aussi les petits Anglais devraient-ils apprendre moins l'anglais, les petits Français moins le français, etc. C'est ainsi que l'Europe se redressera et fera face aux défis du monde nouveau qui émergent sous nos yeux.

Certains pédagogues prétendent que si le niveau en français des élèves en France a baissé au cours des dernières années, c'est parce qu'on y consacre de moins en moins d'heures alors que l'indicateur européen des langues place la maîtrise de la langue maternelle en première position des compétences clés dans une société de la connaissance, la maîtrise des langues étrangères étant placée en seconde position avant les mathématiques...

Ce n'est pas la seule raison pour laquelle le chroniqueur, sous les apparences du bon sens, a tout faux :

- D'abord c'est une illusion de penser que le monde entier parle anglais. Il s'en faut de beaucoup.

- Il est également faux de penser que le monde entier parlera l'anglais. L'anglais se répand, mais d'autres langues aussi, et l'émergence d'un monde multipolaire accentuera cette tendance dans les décennies à venir.

- Il est faux de penser que celui qui parle anglais dominera le monde de demain, croyance totalement naïve. Celui qui dominera le monde parlera plusieurs langues. Ce qui était vrai au temps de la Renaissance (« un homme qui parle quatre langues vaut quatre hommes », ainsi s'exprimait Charles Quint) a toutes les chances d'être toujours d'actualité dans ce monde nouveau dans lequel nous sommes entrés.

- Pour les natifs de langue anglaise, l'avantage de parler anglais est plus que compensé par l'inconvénient de la méconnaissance des langues étrangères des mêmes natifs.

- Surtout, se priver des langues, c’est voir le monde à son image, autant dire l’ignorer.

A l'opposition de ces tendances au repli sur soi, la publication récente du rapport du « Comité stratégique pour les langues » mis en place par le ministre français de l’Éducation Luc Chatel en avril 2011, constitue une vraie bouffée d'oxygène, surtout avec un titre aussi fort : Apprendre les langues, apprendre le monde.

À la lecture de ce rapport, on ne peut qu'être consterné par l'extrême modestie des mesures d'application envisagées et l'absence d'ambition linguistique du ministre. Rappelons que voici un an, fortement contesté du fait de ses déclarations maladroites sur le développement de l'enseignement de l'anglais en maternelle, Luc Chatel avait donné mission à un « Comité stratégique pour les langues », composé de personnalités éminentes, de proposer une nouvelle politique d'éducation en matière de langues. C'était un piège. Pour les membres du Comité ou pour lui ? Pour les deux peut-être. En tout cas Le Chatel a accouché d'une souris.

Les instructions ministérielles pour la dernière rentrée scolaire avaient supprimé toute référence à l'éveil aux langues afin de généraliser l'anglais en maternelle. Le rapport du « Comité stratégique » contredit le ministre, lequel paraît se ranger à son avis et annonce que l'on systématisera la sensibilisation aux langues dès l’école maternelle. Mais attention ! Rien ne dit que l'on ne fera pas de la sensibilisation aux langues uniquement via l'anglais. Dans l'esprit de beaucoup, les langues étrangères se réduisent à l'anglais.

Le rapport du « Comité stratégique », reprenant les conclusions du rapport Maalouf de 2008, puis de la résolution du Conseil de l'Union européenne du 22 novembre 2008, insiste sur la nécessaire diversification de l'enseignement des langues dès le primaire. Luc Chatel élude la question et parle de globalisation des horaires de LV1 et LV2, espérant d'abord faire des économies budgétaires. Dans un domaine sinistré, la globalisation peut servir aussi bien à renforcer l'anglais qu'à enseigner deux langues. La diversification de l'offre linguistique, la mise en cohérence des cursus de la maternelle à l'enseignement supérieur, points forts du rapport du « Comité stratégique », ne sont donc pas à l'ordre du jour. Le ministre se trouve ainsi en contradiction avec les textes européens qui engagent théoriquement les gouvernements. On se contentera donc de la diversification dans les textes, puisque comme chacun le sait, c'est 8 langues que l'école française est censée proposer à l'école élémentaire. Ce n'est pas rien. Un record d'Europe absolu. Pour le futur ministre de l’Éducation, s'il veut encourager la diversification, tout est déjà écrit ! Ce sera affaire de volonté, de moyens et de méthode. Les familles devraient s'en préoccuper.

Pour en savoir plus, de source anglophone, sur ces sujets, voir notamment :

- les deux rapports de 2000 et 2006 pour le British Council de David Graddol,

- l’article de la revue Edutopia « How Global Language Learning Gives Students the Edge » par Dan Fost,

- l’étude « The economic case for language learning and the role of employer engagement ».

- le blog du projet LRE (Language Rich Europe).

 

 

Source : extrait de la lettre d'information n°44 (février-mars 2012)

http://www.observatoireplurilinguisme.eu/index.php?option=com_frontpage&Itemid=1

 

 

 

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