Sujet :

L'anglomanie à l'Eurovision

Date :

24/05/2003

Envoi de Patrick Leloup (Saint-Sébastien-sur-Loire)

(Merci d'écrire à notre secrétariat, si vous voulez prendre contact avec notre correspondant)

À Laurent Ruquier et Isabelle Mergault

L'anglomanie à l'Eurovision 2003

 

Voici le message que j'ai envoyé à France 2 (à destination de Laurent Ruquier et d'Isabelle Mergault, animateurs pour la France de l'émission Eurovision 2003 diffusée le 24 mai). Message également envoyé à France 3.

Site de FRANCE 2www.france2.fr    et  de FRANCE 3 : www.france3.fr

Adresse postale : Maison de France Télévision - 7, esplanade Henri-de-France - 75907 Paris  Cedex 15

 


****************************************

 

Bonjour,

 

Pas de surprise cette année encore : le grand vainqueur du 48e Concours Eurovision de la chanson est une fois de plus la Grande-Bretagne (sauf au nombre de points bien sûr : 0 point). Comme ils étaient touchants, les efforts de déculturation de ces jeunes chanteurs très fiers de savoir baragouiner trois mots de la langue des maîtres du monde, les États-Unis. Le seul souci de ces «chanteurs » n'est pas, bien sûr, de maintenir vivante la diversité culturelle, mais de tenter de vendre leurs navets aux pays les plus riches. À part  quelques œuvres réellement dignes d'intérêt (la Belgique par exemple, et quelques autres), qui serait capable, sans les indications portées à l'écran, de restituer à leurs pays d'origine toutes ces chansons interchangeables dont les interprètes, colonisés mais fiers de l'être, se font un devoir de singer le comportement anglo-saxon ?

Comment les Allemands, par exemple, peuvent-ils accepter que leur pays, qu'ils nomment Deutschland, soit appelé  "Germany" dans cette mascarade, et qu'on juge leur langue si ridicule et si inapte à toute communication qu'elle doive être remplacée par la langue états-unienne, alors que la langue allemande est la plus parlée en Europe ? Un auteur québécois s'étonne de la chose en ces termes :
    « L'allemand est la première langue parlée en Europe, et le français la deuxième. Or les Français semblent trouver normal que l'anglais soit la langue de la Communauté européenne. Il semble que pour beaucoup de Français, la vie internationale se passe en anglais, c'est-à-dire en américain. Les États-Unis sont la puissance la plus forte, ils arbitrent la «mondialisation». Leur propagande porte ses fruits  [...]. L'impérialisme américain s'impose à toute la planète, et les Français s'y soumettent sans protester ».

Une langue n'est pas un simple instrument de communication, c'est aussi le support de la culture.
Heureusement que vous étiez là pour ajouter un peu de dérision dans ce pitoyable déferlement de propagande à la gloire des maîtres du monde. Mais était-il bien utile de vous associer à cet endoctrinement ?

En 1987, le British Council (organisme chargé de propager la langue anglaise non pas pour une meilleure compréhension entre les peuples, mais beaucoup plus prosaïquement, pour le bonheur des entreprises anglo-saxonnes), estimait que « la vraie richesse de la Grande Bretagne n'est pas le pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise. Le défi que nous affrontons est de l'exploiter à fond ». (Rapport du British Council, 1987-1988).
 

Dans un autre rapport, il est dit que :

    « L'anglais doit devenir la langue dominante. [. . .] la langue maternelle sera étudiée chronologiquement la première, mais ensuite l'anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions, deviendra la langue primordiale ».

Ce rapport ajoute que le Centre (ainsi est désigné le groupe des cinq pays anglophones réunis par le réseau échelona: les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le reste du monde étant désigné par « la Périphérie » !) a le monopole de langue, de culture et d'expertise, et ne devrait pas tolérer de résistance contre le « règne de l'anglais ». « Un ministre de l'Éducation peut ne pas être un bon juge des intérêts de son pays et il convient de lui rappeler que l'anglais est le véhicule de tout ce qui a été pensé et senti au cours des siècles comme il est la clef de l'avenir prodigieux qui nous attend. Si les pays non anglophones peuvent décider eux-mêmes de leur politique, ils ont néanmoins besoin d'être guidés fermement afin qu'ils puissent apprécier ce qui est bon pour eux. En conséquence, si les ministres de l'Éducation, manquent de reconnaître cette vérité, parce qu'ils sont aveuglés par leur nationalisme[sic], c'est le devoir des représentants du noyau des anglophones de passer outre ».

On comprend pourquoi le British Council ne tient pas à remplacer les langues nationales par l'anglais, mais seulement à les rabaisser au rang de patois locaux : on n'est parfaitement à l'aise que dans sa langue maternelle, et l'apprentissage d'une autre langue demande beaucoup d'efforts et de temps épargnés aux anglophones. Même après plusieurs années, on ne connaît jamais une langue étrangère comme sa propre langue, et dans toutes les instances internationales où l'anglais domine, ou dans les rapports commerciaux, les anglophones de naissance, qui maîtrisent toutes les subtilités de leur langue, ont un avantage évident. 

Voici ce qu'on pouvait lire fin 1991 dans le Daily Mail :
    « Notre langue est tout près d'être universelle. Voici quelques années, elle a été acceptée avec le français comme l'une des deux principales langues de la CEE. Maintenant elle doit devenir l'unique langue officielle de la Communauté ».

Voici ce qu'on pouvait lire dans le Washington Post et l'International Herald Tribune du 7 juillet 1992 :
    "The use of English boosts the political influence of the English-speaking countries in ways perhaps more potent than gross domestic product or military firepower".
    (« L'emploi de l'anglais accroît l'influence politique des pays anglophones beaucoup plus puissamment qu'une forte économie ou une grande puissance de feu ». Cité dans « La colonisation douce », de Dominique Noguez, Arléa, Seuil).

Le Monde Diplomatique d'août 1998 a repris les mots d'un certain David Rothkopf, directeur général du cabinet de conseils  "Kissinger Associates", et qui sont parus dans un ouvrage paru en 1997 intitulé "Praise of Cultural Imperialism" (Louange de l'impérialisme culturel) :
    « Il y va de l'intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l'anglais; que, s'il s'oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines ; que si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains; et que, si s'élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissenta».

Il est évident que s'il est dans l'intérêt des États-Unis que leur langue soit universellement adoptée, il est dans l'intérêt des autres nations de veiller à ce qu'il n'en soit rien.
    «Ceux qui possèdent les mots, la langue, possèdent aussi la pensée et, si l'on possède la pensée des autres, on possède tout le reste». (Vladimir Volkoff)

Cordialement,

Patrick Leloup,

44230 Saint-Sébastien-sur-Loire

Haut de page