Sujet :

La Constitution européenne et les langues d'Europe

Date :

22/05/2005

Envoi de Philippe Loubière (phloubiere(chez)wanadoo.fr)

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La Constitution européenne et les langues d'Europe

Message de M. Dietrich Voslamber (Dietrich Voslamber)

Référendum sur la Constitution européenneC'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai suivi vos échanges de vue sur le OUI et le NON concernant le projet de constitution européenne. En tant qu'allemand je suis autant touché que vous-mêmes par cette question, mais comme vous l'avez remarqué, je ne me suis pas manifesté au cours de vos discussions. En effet, je n'ai pas voulu intervenir dans un débat français interne.

Étant donné que vous êtes tous des défenseurs de langues, je me suis tout de même étonné de votre silence concernant les questions linguistiques dans le contexte de la constitution. Je me serais attendu à ce que vous analysiez également les changements éventuels (positifs ou négatifs) en matière de langues que la constitution apporterait par rapport aux traités européens actuellement en vigueur. Certes, la question des langues paraît secondaire devant les nombreux autres problèmes d'ordre politique ou économique. Mais ne pourrait-t-elle pas faire pencher la balance auprès des hésitants de dernière heure ?

Je voudrais donc attirer votre attention sur quatre aspects linguistiques pour lesquels le projet de constitution présente des différences par rapport aux traités actuels.

 

(1) Pluralité culturelle et linguistique

 

L'article 151 du traité instituant la Communauté Européenne (version consolidée) contient les passages suivants :

  1. La Communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun.

  4. La Communauté tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions du présent traité, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures.

  L'article I-3 du projet de Constitution dit à ce sujet :

  3. (...) Elle (l'Union) respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.

  Vous remarquerez la position réservée à la culture dans le traité actuel (151) et dans le projet de constitution (3) et surtout le manque du mot "linguistique" dans le traité actuel.

 

(2) Interdiction de discrimination fondée sur la langue

 

Dans l'article 13 du  traité instituant la Communauté Européenne (version consolidée) il est question de toutes sortes de discrimination, mais pas de discrimination pour cause de langue.

 L'article II-81 du projet de constitution par contre a la teneur suivante :

Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

 

(3) Droit de communiquer dans sa langue - comment ?

 

L'article 21 du traité instituant la Communauté Européenne (version consolidée) contient le passage suivant :

Tout citoyen de l'Union peut écrire à toute institution ou organe visé au présent article ou à l'article 7 dans l'une des langues visées à l'article 314 et recevoir une réponse rédigée dans la même langue.

L'article I-10 du projet de constitution en revanche s'exprime comme suit :

Ils (les citoyens de l'Union) ont le droit (...) de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans une des langues de la Constitution et de recevoir une réponse dans la même langue.

La Constitution donnerait donc au citoyen de l'Union le droit d'utiliser sa langue même au téléphone ou sur place au sein des institutions de l'Union.

 

(4) Droit de communiquer dans sa langue - avec quelles institutions ?

 

Parmi les « institutions ou organes » cités dans l'article 21 du traité actuel (voir ci-dessus sous (3), il manque la Banque Centrale Européenne qui, vous le savez, est vouée au tout anglais.

En revanche, l'article III-128 du projet de constitution - précisant le champ d'application de l'article I-10 (voir ci-dessus sous (3)) - présente l'énumération suivante :

Les institutions et organes visés à l'article I-10 (...) sont ceux énumérés à l'article I-19 (...) et aux articles I-30, I-31 et I-32, ainsi que le médiateur européen.

L'article I-30 concerne bien la BCE qui serait donc tenue de répondre dans d'autres langues que l'anglais. Si nous (vous et moi) n'aurons vraisemblablement jamais l'occasion de nous adresser à la BCE, bien des établissements nationaux par contre l'auront.

 

Voilà ce que je voulais vous dire.

 

Avec mes meilleurs souhaits pour une sage décision le 29 mai prochain

Dietrich Voslamber

 

P.-S. : Avons-nous eu quelque influence sur le projet de constitution ?

 

(1) et (3) : Les formulations "culturelle et linguistique" dans l'article I-3 et "s'adresser" (au lieu de "écrire") dans l'article I-10 sont identiques à celles de nos propositions à la Convention que beaucoup de vos associations avaient cosignées. Est-ce un hasard ou est-ce que nos propositions ont déteint un peu sur le projet de constitution ? Nous ne le savons pas.

(2) : Nos propositions incluaient la non-discrimination fondée sur la langue, mais l'article II-81 se trouvait aussi dans la Charte des droits fondamentaux qui a été levée au rang constitutionnel, indépendamment de nos actions.

(4) : La présence de la BCE dans l'article III-128, demandée aussi dans nos propositions, a été quasiment arrachée à la dernière minute suite à une correspondance avec Klaus Hänsch, membre du praesidium de la Convention.

 

 

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Réponse de M. Philippe Loubière, rédacteur en chef de Lettre(s), la revue de l'Asselaf (Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française)

 

  Monsieur,


J'ai lu avec attention votre courriel et je vous remercie de nous avoir fait part de vos réflexions. Celles de l'Allemand que vous êtes sont les bienvenues, car le débat sur le projet de constitution européenne (ce débat ne serait-il vraiment qu'interne) s'enrichit naturellement d'avis venus d'ailleurs, surtout d'un pays allié et ami comme le vôtre.

Notre revue Lettre(s), qui vient de publier son 39e numéro, a choisi de soutenir une orientation favorable au Non, au nom de la sauvegarde et de l'expansion de la langue française (notre objet social). L'avez-vous reçue ?

Les arguments, au delà de la lettre du projet de traité, sont le constat qu'entre les déclarations d'intention en faveur de la diversité culturelle et linguistique et la réalité de la dérive européenne, il y a un abîme chaque jour croissant. La diversité affichée est à notre avis davantage aujourd'hui un alibi des partisans du Oui qu'une volonté de la faire respecter de façon effective.

Affirmer vouloir garantir la diversité linguistique dans un traité, mais travailler uniquement en anglais et ne traduire que trop tard pour que la traduction soit utile est une gigantesque hypocrisie des eurocrates.

Aucune constitution ne protègera jamais de la mauvaise volonté, voire de la mauvaise foi. Et sur ce plan-là, le projet de Constitution pèche par défaut : rien ne protège les citoyens des différents pays européens du "fait du prince" que constitue l'anglomanie des puissants.
La défense de la réelle diversité culturelle, linguistique et aussi technologique d'ailleurs de l'Europe est dès lors entre les mains des citoyens de nos différents pays qui aujourd'hui disent Non.

Vive le français, vive l'allemand ! Vive l'Allemagne, vive la France, et Non à ceux qui veulent transformer leur "couple" en machine à broyer ce que nos deux pays ont en propre.

Les Allemands sont les amis et les semblables des Français parce qu'ils sont allemands, non parce qu'un "homo europeus" sans mémoire et sans racines les a remplacés les uns et les autres.

Bien cordialement à vous, Monsieur,  pour un vote de sagesse dimanche prochain.

 

Philippe Loubière
Rédacteur en chef de Lettre(s), la revue de l'Asselaf (Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française),
22, rue François-Miron
75004 Paris

 

 

 

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Argumentaire pour le « NON » à la « constitution européenne »

Élaboré par la Commission « argumentaires et tracts » du « Forum pour la France » (FPF), où sont représentés 25 associations et mouvements, de divers « bords », avec les apports d’autres mouvements.

Version revue en commun le 15/2/05

 

 

 

 

 

 

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