Sujet :

Comment la City anglicise la France "grâce" aux Français !

Date :

17/10/2014

Envoi de Valérie Faisien  (rejoignez-notre correspondante sur : https://www.facebook.com/vfaisien)

S'exiler à Londres300 000 Français exilés à Londres !

Aux actualités de 20 heures, sur France 2, le jeudi 16 octobre 2014, David Pujadas, le journaliste-présentateur du journal, nous fit part d'un reportage sur les Français exilés à Londres.

Ils seraient près de 300 000 - merci, l'enseignement obligatoire de l'anglais en France ! -, ce qui, ramené à l'échelle d'une ville, ferait de cette population, la 5 ou 6e ville de France, deux fois la ville de Nîmes !

Devant cette fuite de la jeunesse et des cerveaux, les gouvernements qui se sont succédés depuis des décennies, n'ont fait qu'ignorer, ou relativiser, ce phénomène.

Pourtant, si nos politiciens avaient une volonté réelle de développer la Francophonie, cet exil massif pourrait très bien être réorienté pour, au lieu de profiter à l'anglosphère, profiter au développement des liens de coopérations, de solidarité et de fraternité entre les Francophones du monde entier. Et cela, bien évidemment, ne ferait que fortifier la place de la langue française dans le monde.

Mais nos politiciens, c'est bien connu, à force de lire l' "Herald Tribune", le "Financial Times" et Cie, sont plus imbibés d'anglo-certitudes que de franco-vision.

NT

 

 

Deux Français expatriés à Londres

(capture d'écran à partir du reportage de France 2) :

Lou Richaud, un Français exilé à Londres   

 

Barbara Guignard, une exilée française à Londres

 

 

 

***************************

 

 

Comment la City anglicise la France… "grâce" aux Français !

Écrit par dans Analyse socio-linguistique

Les ponts culturels

D’après le site du Ministère des Affaires Etrangères, 1 611 054 Français sont établis à l’étranger. Vivre à l’étranger amène à s’intégrer à la nouvelle société, à apprendre sa langue de par ses voisins, son travail, son environnement. Ces Français qui vivent à l’étranger sont comme des ponts entre deux cultures car en plus des nouvelles personnes qu’ils rencontrent, ils entretiennent des liens avec leurs amis et famille qu’ils laissent en France.

Plus belle la vieAinsi, les immigrés portugais, espagnols et italiens hier, marocain, algérien, et portugais (encore !) aujourd’hui amènent un peu de leur culture chez nous et partagent un peu de la nôtre chez eux. Il faut imaginer que, vu le nombre total de Portugais au Portugal (environ 10,5 millions) et en France (1,24 millions pour les immigrés et leurs enfants), la plupart des Portugais ont un cousin en France, ce qui a forcément une influence sur la diffusion du français au Portugal (voir à ce propos la BD de Pedrosa : Portugal, dans laquelle quelques personnes que rencontre le héros au Portugal parlent couramment le français, car ayant vécu en France). Idem pour l’Algérie ou le Maroc. C’est le phénomène de relai culturel ou relai linguistique.

L’effet de ces ponts culturels est d’autant plus renforcé lorsque la langue du pays d’accueil est aussi une langue d’apprentissage dans le pays de départ. Ainsi, le français joue un rôle important en Algérie et au Maroc, car il a un rôle semi-officiel et est la première langue « étrangère » apprise (« étrangère » entre guillemets, car c’est une langue très largement utilisée dans le quotidien). L’existence d’une diaspora en France renforce la nécessité d’apprentissage du français dans le pays d’accueil, car les immigrés montrent par leur exemple l’intérêt de maîtriser le français pour se donner des opportunités de travail, et peuvent eux-mêmes être les relais de la culture et de la langue française en partageant des groupes de musique, des films qu’ils ont découvert en France. Sans compter l’effet « Plus-Belle-La-Vie », c’est-à-dire l’existence de séries et films français, sous-titrés ou non, à la télévision qui familiarisent avec la France, sa langue et sa culture.

L’anglais en France

Maintenant, je voudrais prendre ce phénomène dans l’autre sens en étudiant le cas particulier de l’anglais en France.

L’anglais est une langue au statut privilégié en France. Depuis que Claude Allègre est passé au Ministère de l’Education, l’anglais est une langue étrangère obligatoire en France. C’était un peu l’officialisation d’une tendance fortement engagée dans les faits. C’est aussi une langue de culture très répandue : grand nombre de chansons en anglais à la radio, séries en anglais sous-titrée que les gens regardent en grand nombre en DVD, beaucoup de phrases ou mots anglais dans les publicités, dans la dénomination des magasins… d’où cela vient-il, sachant que la France n’a pas été colonisée par le Royaume-Uni ou les États-Unis à proprement parler ? C’est en tous les cas le signe manifeste qu’il y a un puissant effet de relai culturel et linguistique anglais en France

Si certains évènements historiques (Première et Deuxième Guerre Mondiale, succès économique, accords Blum-Byrnes, OTAN…) ont pu favoriser l’expansion de l’anglais en France, il est intéressant aussi de se pencher sur les aller-retour entre la France et les pays anglophones, sur les données qui illustrent et alimentent cet effet de relai linguistique.

Les Français établis en pays anglophone

Comme je le disais plus haut, 1 611 054 Français sont établis à l’étranger au 31 décembre 2012. Intéressons-nous à ceux établis dans des pays anglophones.

 

Français établis dans des pays anglophones :

États-Unis d’Amérique (ÉUA)

125 171

Grande-Bretagne

126 049

Irlande

8 980

Australie

19 104

Total :

279 304

 

Il faudrait ajouter à cela ceux établis dans la Canada anglophone, mais nous n’avons que les chiffres pour tout le Canada, Québec compris (soit 78 047) et on sait que le Québec attire une part importante des Français s’installant au Canada, et ceux établis dans des pays partiellement anglophones (Afrique du Sud, pays d’Afrique anglophone (nombre très faible)). Disons qu’au total, on peut estimer cela à 60-70 000 personnes, ce qui ferait un total d’environ 350 000 Français établis dans un pays avec un cadre anglophone, soit 0,5% de la population française (1 personne sur 200). 0,5%, cela paraît peu, mais ce sont des personnes qui sont en relation avec d’autres personnes en France, ce qui a une influence sur une partie plus importante de la population française, et souvent à des postes socialement élevés, ce qui démultiplie cette influence (journalistes, hommes politiques…). Quand on y pense, ce nombre est assez important. Dans ce nombre-là, une partie non négligeable reviendra en France et jouera le rôle de pont culturel et linguistique, utilisant des anglicismes, partageant des découvertes culturelles, etc. avec leurs proches en France. Ce rôle de pont culturel aura d’autant plus d’impact qu’il y a déjà en France une familiarisation avec tout ce qui est anglais. C’est pourquoi à mon avis les anglicismes s’installeront facilement en français (franglais), alors que les germanismes ne prendront pas racine, car ils n’entreront pas en résonnance avec un terreau favorable.

Le statut social des Français en pays anglophone : un statut généralement élevé, un prestige certain

Pour approfondir ce que l’on vient de voir, il faut pondérer ces chiffres avec un autre facteur, celui du statut social des exilés. Quelqu’un qui a un statut social élevé dans le pays où il va (cadre) aura forcément plus de prestige auprès de ses amis et de sa famille dans son pays d’origine que s’il est serveur ou au chômage dans le pays d’accueil. Le fait de faire miroiter une vie meilleure dans l’autre pays à ses proches crée forcément une aspiration, une envie de tout ce qui a trait à cet autre pays. Ainsi, les Algériens diplômés qui ne trouvent pas de travail en Algérie et qui sont cadres en France.

Concernant les Français expatriés aux États-Unis ou au Royaume-Uni, une part non-négligeable de ces personnes travaille dans le secteur financier (la City ou Wall Street) et d’autres sont ingénieurs (10 à 12 000 Français dans la Silicon Valley) ou chercheurs, postes avec un prestige certain. Cela a un effet multiplicateur sur l’attrait de la langue anglaise.

La City de LondresVenons-en aux chiffres :

d’après le site Slate.fr, 150 000 Français sont aujourd’hui à la City et occupent 20% des postes en finance à Londres. Certains prennent l’Eurostar, d’autres y vivent. 150 000, c’est énorme, et il faut mesurer la perte que c’est pour la France. Ce sont 150 000 Français qui ont été formés en France, avec l’argent de la France, qui travailleront dans un secteur à forte valeur ajoutée et feront gagner cette valeur ajoutée à un autre pays. Il y a un aspect économique, et un aspect linguistique qui nous intéresse plus particulièrement ici. Cela veut dire que ces gens sont en contact avec un environnement anglophone, et que leur façon de parler le français en est affectée. Moi-même, ayant vécu en Irlande deux ans en tout, et ayant fait des études d’anglais, je me surprends utilisant certaines tournures anglaises avec des mots français, ou cherchant le mot français quand un mot anglais me vient spontanément à l’esprit, quand bien même je fais attention. C’est d’autant plus marquant lorsque l’on revient tout juste, mais il en reste toujours quelque chose. C’est un phénomène bien connu pour les immigrés : ils parlent leur langue à la maison, mais au fur et à mesure qu’ils utilisent une autre langue au quotidien, leur langue s’en imprègne et se créolise. Ainsi les Français à Londres commencent à dire « implémenter », « impacter », « supporter » (à la place de soutenir), liker, etc., car naturellement ce sont les mots anglais qui remplacent dans leur esprit les mots français. C’est la cerise sur le pudding !

De par leur statut et leur réussite, ces Français présentent un modèle enviable, auquel on a envie de ressembler, ce qui renforce l’attrait de l’anglais et de sa culture. On veut s’approprier les recettes qui font le succès du modèle que l’on voit, et l’on s’imprègne de cela. La façon de parler est celle de quelqu’un qui a réussi, ce qui explique à mon avis en grande partie le « snobisme » que certains ont à utiliser des anglicismes, pour montrer qu’ils participent de cette réussite.

Science-Fiction

La CityÀ la lumière des ces idées et faits, on peut imaginer un scénario qui pourrait inverser la tendance. Imaginons qu’avec sa dette astronomique (la plus grande au Monde), le Royaume-Uni s’effondre et la City suive le mouvement. Le continent s’étant moins engagé dans le libéralisme financier, des bataillons de Français de la City reviennent s’installer à Bruxelles, à Paris, à Francfort trouvant des postes moins rémunérés que leur situation d’avant la crise, mais largement plus que celle d’après la crise, et trouvant un certain réconfort dans des postes stables, tandis que le Royaume-Uni peine à remonter à la surface. Les investissements quittent la zone Sterling, trop imprévisible, et se réfugient dans la zone euro, beaucoup plus stable. Le palais Brognart rembauche.

Ce sont autant de relais de la culture et de la langue anglaise qui quittent leur poste et ne font plus le pont entre l’el dorado anglais et la société française. On interroge des Français établis à Paris et Bruxelles et revenus de Londres : « Londres et la City, c’était bien, ce fut une formidable expérience, mais on voyait bien que cela ne pouvait pas durer : en l’absence de régulation, on savait bien que la City s’engageait dans une impasse mais personne ne pouvait arrêter la machine. On est resté jusqu’à ce que le navire coule. » On  admire la nouvelle réussite européenne de ces Français au statut enviable et de ces courtiers britanniques qui écoutent des groupes anglais qui chantent en français : c’est la « patte britannique » (the British Touch en anglais). L’équilibre des langues se refait au niveau des institutions européennes et les grandes langues sont réutilisées à égalité, on se met à réentendre parler d’artistes italiens, français, allemands, espagnols et des chanteurs font des duos bilingues pour célébrer l’aspect multilingue de l’Europe qui a pris le relais du « tout-anglais ».

 

 

Source : lavoixfrancophone.org,  le 1er juillet 2013

Possibilité de réagir sur :

http://lavoixfrancophone.org/comment-la-city-anglicise-la-france-grace-aux-francais/