Monsieur
l' Administrateur général,
Il nous
revient que, dans la première moitié de ce mois de juillet,
la Comédie française a présenté des pièces de Molière,
dans une mise en scène de Jean-Marc Villégier, avec une
bande passante portant une traduction en langue anglaise.
Vous
auriez dit que si cette expérience se révélait concluante,
elle pourrait être étendue à la plupart de vos spectacles.
Nos
membres ressentent naturellement - à tort, direz-vous peut-être
- un malaise à l'idée que la langue de Molière ne suffise
plus dans sa « Maison ». Il nous est difficile de nous
en défendre.
Si
la logique de « l'adresse au monde entier » était
poussée jusqu'au bout, on pourrait très bien arriver à une
présentation de notre répertoire directement en anglais dans
nos « théâtres nationaux ».
Peut-être
souhaitez-vous attirer une clientèle riche plus nombreuse,
alors même qu'il nous semblait que vous faisiez généralement
salles combles et n'aviez guère de places disponibles, même
pour des gens à faibles ressources ou des élèves des lycées
ou « jeunes » divers ?
Cependant,
plutôt que de donner libre cours à nos complaintes et déplorations
de l'air du temps et du défaitisme de nos élites, nous préférons
vous soumettre des propositions qui nous paraissent faire une
part du feu raisonnable :
1)
Puisque l'anglais littéraire n'est pas mieux compris de la
grande majorité - qui n'est pas de langue maternelle
anglo-américaine - des spectateurs actuels et potentiels
(voyez les statistiques des entrées de touristes...), nous
vous suggérons d'étudier et d'appliquer une formule plus équitable.
Une formule plurilingue.
Non
pas sans doute sur la même bande passante, ce qui serait peu
praticable, mais en alternant plusieurs langues de
traduction, soit en fonction des jours ou séances d'un même
spectacle, soit en fonction des divers spectacles. Et vous
annonceriez les langues de traduction dans vos programmes, ce
qui prouverait votre magnanimité et votre grand respect de
vos publics et du plurilinguisme.
2)
Vous pourriez prendre l'initiative de traiter ce sujet avec
les principaux théâtres nationaux, voire privés, français,
(et pourquoi pas belges, suisses francophones et québécois ?...)
pour répartir entre vous les langues principales de
traduction.
3)
Vous pourriez prendre l'initiative de contacts et de négociations
avec de grandes scènes étrangères, anglaises, russes,
allemandes, italiennes, espagnoles, polonaises, ...pour étudier
avec elles des mesures de réciprocité. Vous
feriez ainsi œuvre utile pour la présence de notre langue au
dehors. Votre magnanimité, les Français ayant tiré les
premiers, serait peut-être imitée. Avec un peu de
persuasion...
Nos
associations auraient alors non plus à déplorer un unilatéralisme
de défaite, mais à vanter une politique intelligente de
rayonnement, au service de la culture universelle, fidèle à
...Molière !
Vous
devinez déjà que votre réponse à cette lettre sera
accueillie avec le plus grand intérêt dans nos associations
et bien au-delà.
Dans
cette attente, je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur
l'Administrateur général, l'expression de notre dévotion à
Molière, donc à vous.
docteur
d'Etat ès lettres,
Président
d' « Avenir de la langue française ».