Monsieur
le Délégué général,
J'ai
pris bonne note de votre lettre du 24 avril 2003, lettre qui
faisait réponse à la mienne du 10 février 2003.
Je constate, hélas, que vos réponses sont loin d'atténuer les
craintes que j'ai pour la langue française et que votre politique
en faveur de la langue française est loin d'être volontariste,
battante et rayonnante. Chacun des paragraphes de votre lettre
peut être aisément contredit.
Ainsi, dans le deuxième paragraphe, vous dites que la diversité
des langues est la forme première de la diversité culturelle.
Bien évidemment, je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce
point, mais n'est-ce pas plutôt aux angliciseurs à qui il
faudrait dire cela ? Récemment, j'ai écouté le concours de
l'Eurovision et je n'y ai guère vu de traces de diversités
culturelles : tout le monde, ou presque, chantait en anglais,
même la Pologne et la Roumanie, pourtant tous les deux membres de
la Francophonie. Où est la diversité des langues et des cultures
là-dedans, et où se situent votre action, et celle du
Président, pour la diversité culturelle, dans cet exemple
précis ?
Dans le troisième paragraphe, vous dites que le français ne doit
pas s'imposer sur la ruine des autres langues. Là, je crois que
vous êtes en retard d'une bonne douzaine de guerres, car le
français a commencé à s'imposer dès 1539 sous François 1er
(Ordonnance de Villers-Cotterêts), puis fut déclaré langue de
la République par la Constituante de 1793 et rendu obligatoire
par l'enseignement sous Jules Ferry. De plus, s'il ne fallait rien
construire sur les ruines, Nîmes n'aurait pas ses fameuses
Arènes, puisque les Arènes de Nîmes ont été construites sur
d'anciennes ruines ; et il en est du cas des Arènes de Nîmes
comme de bien d'autres. L'essentiel, je crois, ce n'est pas tant
de construire sur des ruines, mais c'est d'éviter de devenir une
ruine. Et nous, à l'A.FR.AV, nous ne voulons pas que le français
devienne une ruine, sur laquelle viendrait s'installer l'anglais.
Dans le quatrième paragraphe, vous mettez dans le même sac
l'allemand, l'italien, le portugais avec l'occitan. A priori, vous
ne faites donc pas la différence entre langue nationale et langue
régionale, c'est-à-dire entre langue de citoyenneté et langue
ethnique. Ce manque de discernement me paraît dangereux pour le
poste que vous occupez. De plus, en quel honneur la langue du Sud
de la France serait l'occitan. L'occitan est comme le français,
c'est une langue de colonisation issue de l'invasion romaine. À
Nîmes, avant la colonisation romaine, mes ancêtres parlaient le
Volque-arécomique, sorte de dialecte gaulois satiné de ligure,
et bien avant, ils parlaient le langage des pierres dans les
grottes du Gardon. Et si moi, Régionaliste de Nîmes, je
réclamais, au nom de mes ancêtres, que l'on apprenne le langage
des pierres à mes enfants en disant non à l'impérialisme de
l'occitan de Toulouse - car en fait, c'est celui qu'on apprend à
Nîmes ! - ? Ne serait-ce pas là un vrai retour aux sources,
totalement dénué de toute hégémonie, celui-là ?
Dans le cinquième paragraphe, vous parlez de mise en place d'une
politique pour renforcer le plurilinguisme. Pourtant, à voir la
plupart des sites publics français de l'inter-réseau , je me dis
que c'est plutôt le bilinguisme français-anglais (pourtant
illicite) que vous favorisez et que, de plus, vous fermez les yeux
sur les sites unilingues anglais de la Commission de Bruxelles
pourtant tous hors la loi, eux aussi. Quant à la place de notre
langue dans les institutions internationales, il faudrait
peut-être d'abord exiger que nos diplomates s'expriment en
français lorsqu'ils nous représentent à l'étranger. Que dire
en cela de l'ambassadeur de France à l'ONU, M. Jean Rochereau de
la Sablière, qui s'est exprimé en anglais devant la presse
internationale, au début du mois de mai, pour dire que la France
était d'accord pour la levée de l'embargo sur l'Irak ?
Dans le sixième paragraphe, vous me faites part que dans le
domaine essentiel des publications scientifiques, vous apportez
une aide à la création et au développement de revues de
SYNTHÈSES. De “Synthèses ?” - Autrement dit, les
Francophones doivent se contenter de RÉSUMÉS, tandis que les
anglophones ont droit, eux, aux articles en entier. Quelle honte
et quelle petitesse de raisonner ainsi ! La France et sa langue
sont vraiment tombées bien bas avec une telle politique. Non,
Monsieur, il ne nous faut pas des revues de “synthèses”
résumant les prestigieuses revues anglophones, il nous faut des
revues prestigieuses en français capables de rivaliser avec “Science”,
“Nature” et Cie.
Ensuite, toujours dans ce même paragraphe, j'apprends que vous
subventionnez l'interprétation en français de colloques
scientifiques internationaux se déroulant en France. Mais que
faites-vous lorsque le français y est carrément interdit (voir
document ci-joint, où il est question d'un colloque en anglais,
organisé par le CNRS, à l'École Normale supérieure - affaire
traitée par M. Marceau Déchamps des associations Droit De
Comprendre et DLF) et il serait bon de savoir dans la foulée, si
les Américains subventionnent l'interprétation en anglais des
colloques scientifiques internationaux qui se déroulent chez eux.
(Ça m'étonnerait !)
Dans le septième paragraphe, vous me faites part qu'enfin le mot
“courriel” va être approuvé par l'Académie française.
Soit, c'est une bonne nouvelle, mais là encore, vous avez été
trop long à réagir, au moins cinq ans de retard. Dans cette
affaire, comme dans d'autres, on a l'impression que vous attendez
que le mot anglais s'encre bien dans le cerveau des Français pour
enfin intervenir. Ainsi, certaines personnes diront “courriel”,
mais la majorité, l'habitude étant prise, dira “e-mail”. Il
y aura en quelque sorte un bilinguisme de fait, langue
nationale/langue d'invasion, comme cela se passe dans les pays
colonisés.
Pour conclure, je dirais que contrairement à ce que vous dites,
le français n'est pas au cœur de la politique linguistique de la
France, je me demande même s'il y a encore une politique
linguistique pour notre langue en France.
Je me rends compte aussi que vous n'avez pas répondu à ma
demande de subvention : notre association ne répond pas, somme
toute, aux critères qui vous sont dictés par les directives
européennes en la matière, c'est-à-dire favoriser les dialectes
régionaux sur la langue nationale, les régions sur la Nation.
Mais je vous rassure, cela n'est pas grave, je n'aurai pas à
vous dire merci, et en soit, c'est déjà un contentement.
En espérant - je crois au miracle - qu'il y aura un jour dans
notre pays une réelle politique linguistique en faveur de la
langue française et de la Francophonie, je vous prie d'accepter,
Monsieur le Délégué général, mes salutations distinguées.