Sujet :

France 2,  suppôt des angliciseurs !

Date :

12/12/2004

Envoi de Patrick Leloup (Saint-Sébastien-sur-Loire)

(Merci d'écrire à notre secrétariat, si vous voulez prendre contact avec notre correspondant)

France 2,  partenaire de l'anglicisation  !

Le jeudi 18 novembre 2004, Olivier Mazerolle recevait le ministre de l'Éducation François Fillon dans son émission « 100 minutes pour convaincre ». Peu avant le début de l'émission, monsieur Mazerolle en a présenté les grandes lignes et nous a informés que François Fillon annoncerait diverses mesures, dont l'anglais obligatoire.

Au début de l'émission, un reportage sur la Suède était entièrement consacré à l'anglais, que les Suédois apprennent dès leur plus jeune âge. On nous a parlé « d´ouverture au monde », on nous a montré une bibliothèque pourvue de livres en suédois et de livres en anglais... Le seul bémol, vite balayé, était que, aux dires de certains esprits chagrins, l´anglais pouvait risquer de faire « perdre notre identité ».

Ainsi, le message d'Olivier Mazerolle et de France 2 était clair : la réforme du système éducatif consiste à imposer l'anglais, l'anglais et l'anglais pour tous, et il était grand temps qu'on rende enfin l'anglais obligatoire en France, toujours à la traîne en tout. On s'attendait presque à voir France 2 proposer de procéder comme de nombreux parents en Corée du sud, qui font couper le frein de la langue de leurs enfants, cette pratique étant supposée leur faire mieux prononcer les sons de la langue des maîtres à penser, les anglophones. Le ministre a alors expliqué que le suédois n'était parlé qu'en Suède, mais que le français étant parlé dans près de vingt pays, il n´allait pas rendre l'anglais obligatoire en France.

Pourquoi les journalistes de France 2 n´ont-ils pas fait leur reportage en Espagne, où les langues étrangères sont moins bien loties qu'en France, et où les informations télévisées, par exemple, accordent une grande place aux événements de toute l'Amérique du Sud hispanophone, avec qui les rapports se font bien sûr en espagnol ? Pourquoi ne se sont-ils pas rendus chez nos voisins anglais, chez qui le ministre de l'Éducation, loin de promouvoir l'apprentissage des langues étrangères, a au contraire décidé en 2004 de rendre facultatif l'apprentissage d'une deuxième langue, en mettant l´accent sur les économies ainsi réalisées et sur les avantages qu´ont les anglophones dans les négociations internationales, l´anglais appris faisant toujours pâle figure face à l´anglais langue maternelle ?

Les pays anglophones cherchent à imposer leur langue au monde et mènent dans ce but une politique très active, tandis que de nombreux citoyens des autres pays demandent encore plus d'anglais. Quelle merveilleuse complémentarité de points de vue ! Quand ces citoyens sont des responsables d'une chaîne de télévision, publique qui plus est, on comprend que la colonisation des esprits est fort avancée.

Voici quelques petites phrases de décideurs anglophones qui pourraient éventuellement éveiller, sait-on jamais, une petite lueur d'esprit critique chez les gens de France 2 :

Winston Churchill, 1943 : "I am very much interested in the question of basic English. The widespread use of this would be a gain to us far more durable and fruitful than the annexation of great provinces".

British Council, 1968 : « Il y a toujours un élément de publicité sur quelque chose à vendre dans chaque livre, magazine, film ou programme de télévision de langue anglaise que nous envoyons à l'étranger ».

British Council, 1987 : "Britain´s real black gold is not North Sea oil but the English language".  (« Le vrai or noir de l'Angleterre n'est pas le pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise »).

Daily Mail, 1991 : « Notre langue est tout près d'être universelle. Voici quelques années, elle a été acceptée avec le français comme l'une des deux principales langues de la CEE. Maintenant elle doit devenir l'unique langue officielle de la Communauté ».

International Herald Tribune, 7 juillet 1992 : "The use of English boosts the political influence of the English-speaking countries in ways perhaps more potent than gross domestic product or military firepower". (« L'emploi de l'anglais accroît l'influence politique des pays anglophones beaucoup plus puissamment qu'une forte économie ou une grande puissance de feu »).

David Rothkopf, directeur général du cabinet de conseils Kissinger Associates, 1997 : « Il y va de l'intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l'anglais ».

Robin Cook, secrétaire au Foreign Office dans le gouvernement de Tony Blair, 1997 : il souhaite que, demain, la Grande-Bretagne mène le monde, par la seule force de son économie, de son génie créateur, de sa culture et de sa langue.

Madame Thatcher, juillet 2000 : « Dans ce XXIe siècle, le pouvoir dominant est l'Amérique, le langage global est l'anglais, le modèle économique est le capitalisme anglo-saxon ». Il faut s'opposer à la France « à l'origine de toutes les tentatives pour réduire l'influence américaine en Europe ».

Un certain André Schiffrin, patron d´une maison d´édition new-yorkaise indépendante, a accordé en juillet 1999 un entretien au Nouvel Observateur ; il explique que « 70 000 ouvrages sont publiés chaque année aux États-Unis [. . .], mais 90% sont « identiques » aux précédents. Ces sont des livres de cuisine, etc. Quand on regarde le catalogue de printemps, on ne trouve aucun livre d´histoire sérieux, aucun d´investigation scientifique et pas une seule traduction. Les Français ont vendu 90 ouvrages aux Américains l´an dernier, tous genres confondus, ce qui constitue une baisse considérable. Pire : sur ce total, 49 livres ont été vendus à des presses universitaires, 40 à des maisons indépendantes, comme la nôtre, et un seul à un grand éditeur !

Et la presse, qui appartient souvent à ces conglomérats, est complice de ce mouvement. Nous publions actuellement la traduction du livre de Tahar Ben Jelloun ; « le racisme expliqué à ma fille », qui a eu beaucoup de succès en Europe. Il est préfacé par Bill Cosby. Eh bien les journaux ne veulent pas en parler : Tahar Ben Jelloun n´est pas américain, personne ne le connaît ! »

À la lumière de ces petites phrases, il est utile de reconsidérer le reportage de France 2 : « des livres en anglais » ? Certes, mais surtout des livres ANGLAIS, ou plutôt anglo-saxons.

Combien, parmi ces livres en anglais, sont des livres d´origine autre qu´anglo-saxonne ? « Une ouverture sur le monde » ? Une ouverture sur le seul monde anglo-saxon. Une langue est beaucoup plus qu´un simple instrument de communication, c´est aussi le support de la culture. Lors des cours de langue, les élèves apprennent à connaître les autres cultures ; à quelle culture sont-ils initiés lors des cours d´anglais ? En Angleterre où l´apprentissage d´une autre langue n´est plus obligatoire, à quelle occasion les élèves étudient-ils une autre culture ?

Ainsi, à l´heure où le multilatéralisme est plus que jamais nécessaire, certains peuvent encore appuyer le monopole culturel et linguistique des plus puissants du moment. France 2 pourrait-elle éviter de considérer ce monopole comme étant une loi de la physique, contre laquelle on ne peut rien faire, contre laquelle il ne faut surtout rien faire, et qu´il faudrait même encore accentuer ?

Salutations,

Patrick Leloup
44 Saint-Sébastien-sur-Loire



 

« Ceux qui possèdent les mots, la langue, possèdent aussi la pensée et, si l´on possède la pensée des autres, on possède tout le reste »

(Vladimir Volkoff)
 



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