Sujet :

Au sujet de l'émission sur le français du 6 juin

Date :

15/06/2007

De Régis Ravat  (courriel : afrav(chez)tiscali.fr)  

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Au sujet de l'émission sur le français du 6 juin

Nous avons enregistré l'émission  « Arène de France » du 6 juin 2007 de France 2 consacrée à la langue française et à la Francophonie.

À l'A.FR.AV, nous avons décidé d'en faire une analyse, de la décortiquer, afin d'en sortir les éléments positifs et négatifs pour notre cause, d'en déduire ce qu'il aurait fallu dire ou ne pas dire, etc.

En cela, en juin, juillet et août au siège de l'Association, nous organiserons des soirées-débats autour du film que nous rediffuserons pour l'occasion.

Si vous désirez venir à une de ces soirées, merci de nous écrire. Bien sûr, pour le cas où vous ne pourriez pas vous déplacer, vos remarques sur cette émission seront les bienvenues à notre courriel (afrav@tiscali.fr)

 

 

 

 

Réflexions de Georges Gastaud, initiateur avec Georges Hage du Manifeste progressiste pour la langue française :

L'émission « l'Arène de France » avait initialement contacté les initiateurs du Manifeste progressiste pour la défense de la langue française. La date fixée pour l'enregistrement coïncidant avec mes cours, je n'ai pu me rendre à l'émission. J'ai donc conseillé aux producteurs de contacter Francis Combes, poète et signataire du manifeste, mais celui-ci n'a pas été appelé. Je leur ai également signalé l'AFRAV, les organisateurs syndicaux de la récente conférence de presse sur le droit de parler français à l'entreprise, et j'ai également insisté pour qu'ils contactent le grand linguiste Claude Hagège (que la sympathique productrice de l'émission ne semblait pas connaître avant que je lui en parle).

Sur la forme de l'émission elle-même, on peut regretter qu'elle privilégie le spectacle, les "prises de bec" et la dérision au risque de masquer l'extrême gravité de certains enjeux. La forme utilisée (la « foire d'empoigne ») ne permet pas non plus d'argumenter à fond pour DÉMONTRER ses dires ; aucune émission télévisuelle ne le permet d'ailleurs, nous sommes dans une « démocratie d'opinion », c'est-à-dire dans le contraire d'une authentique République, organisée pour que la raison ait le dernier mot à l'issue d'un débat contradictoire approfondi : ici triomphe nécessairement, non pas la vérité démontrée, mais l'individu qui a laissé la meilleure « impression ».

Sur le contenu, le débat en pour et en contre dé-problématise les vrais sujets, il efface notamment les clivages de classe en interdisant de fait les dépassements dialectiques. Par exemple, dans l'émission consacrée au débat sur le français, on va trouver dans le même « camp », celui des défenseurs du français, des partisans d'un certain « purisme » teinté d'esprit aristocratique et des syndicalistes moins attachés aux enseignements de Vaugelas qu'à la promotion de ce droit fondamental qui est de parler sa langue maternelle au travail ; comme si on ne pouvait pas à la fois défendre le français contre l'invasion patronalement programmée de l'anglais ET aimer l'argot et la verte langue pré-classique de Rabelais, de Villon ou de Pierre Perret ; en face, on trouvera de sympathiques « djeuns » appréciant le code-« charade-rébus » des SMS, à côté de parfaits valets de l'impérialisme « culturel » (sic) anglo-saxon déplorant la prétendue incapacité de notre langue à communiquer brièvement (que ces gens-là lisent deux pages des Pensées de Pascal pour apprendre la concision, et ils trouveront "just do it" parfaitement logorrhéique !

Plus généralement, l'émission a mis en scène, à partir d'un cas particulier (le domaine linguistique et culturel) la fausse opposition entre « progressistes euromondialistes » et « souverainistes passéistes ». Mais cette opposition est politiquement et linguistiquement catastrophique, c'est elle qui a neutralisé le vote du 29 mai 2005 en opposant ceux qui défendent la souveraineté nationale sous les plis du drapeau tricolore à ceux qui défendent le progrès social sous l'égide du drapeau rouge (ou arc-en-ciel, comme si les FTP de 1940 ne chantaient pas à la fois la Marseillaise et l'Internationale quand ils marchaient au poteau d'exécution nazi !

En réalité, un certain nationalisme « réac » teinté de xénophobie est parfaitement soluble dans l'euromondialisme : il s'agit en fait de deux faces, opposées en apparence, mais socialement complémentaires, de l'idéologie capitaliste. À l'inverse, comme les Sans Culotte, les Communards, les FTP, il est indispensable de concilier le patriotisme républicain (et l'amour de la langue française dans TOUTES ses composantes, y compris les plus "vertes" et les plus populaires : «aj'ai mis le bonnet rouge au vieux dictionnaire », déclarait Hugo contre les « puristes » de son époque) et l'internationalisme prolétarien, tout en s'opposant à la fois à la mondialisation capitaliste (avec sa langue unique, le "globish") et à son supplément d'âme pour classes moyennes inquiètes, le national-régionalisme séparatiste (né à Monaco, j'aime entendre parler  monégasque, mais la principauté ne me paraît pas le comble de l'humanisme et de la démocratie : elle est au contraire la fusion passablement monstrueuse du particularisme féodal et du mondialisme friqué et « pipeulisé »).

Pour finir, j'aurais aimé, si j'avais pu me libérer, participer à « l'Arène de France » parce que toute tribune est bonne à prendre pour défendre une juste cause ; mais sans être dupe de ce type de « démocratie » spectacle ; la multiplication des «aarènes » de gladiateurs du verbe (en attendant que ça saigne pour du bon) est le triste symptôme de l'extinction des AGORAS et autres FORUMS démocratiques permettant d'argumenter sur le fond sans jouer les fous du roi ou les bouffons de l'Arène. Quant à Claude Hagège, il a bien fait de braver le risque du ridicule, son humour et son intelligence ont laissé sur place certains intervenants d'une incroyable vulgarité de pensée.
 

 

Réflexions de Jean-Pierre Busnel (Président de l'IAB) :

Cher M. Loubière (Secrétaire de l'ASSELAF), Je n'ai vu que la seconde partie de cette émission de mercredi dernier sur A2 (j'étais dans mon bureau au moment de sa diffusion et ma femme est venue me dire qu'un débat était susceptible de m'intéresser sur A2). J'ai remarqué que M. Marceau Déchamps était présent. Je crois que M. Albert Salon était invité en fin d'émission, mais que la parole ne lui a malheureusement pas été donnée. L'ASSELAF avait-elle été conviée ? Il semble que non, mais faut-il le regretter Cette émission a plutôt eu le don, tout an long, de me mettre les nerfs en boule. On a entendu les habituelles âneries. La langue française a toujours bénéficié dans sa longue histoire d'apports multiples et il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil. Rien de nouveau ?

Mondialisation néolibérale anglo-saxonne, construction européenne (dans laquelle certains voient le cheval de Troie de la précédente), révolution culturelle du troisième tiers du XXe siècle, mouvements migratoires intenses, affaiblissement de l'État ne sont sans doute que phénomènes secondaires ! La langue française est une vieille chose qui vient de loin dans le temps, un héritage désuet. Elle est beaucoup trop compliquée, notamment pour les jeunes et pour tous ceux dont elle n'est pas la langue maternelle. Or, il Il ne faut rien imposer aux jeunes, mais s'en remettre plutôt à leur merveilleuse créativité langagière et  imposer leurs choix aux vieux. Que ceux-ci renoncent à leur conception hégémonique, dominatrice et « frileuse », à leurs prétentions à donner des leçons de syntaxe, de grammaire, d'orthographe, de morphologie, qu'ils passent la main (le rôle surtout attendu des « vieux » est qu'ils cèdent leur place et leur rang), qu'ils se mettent au goût du jour, qu'ils s'adaptent, qu'ils s'« ouvrent » au monde et au parler des aéroports et des congrès, qu'ils se modernisent. Chacun sait, par exemple, que les gentils adolescents s'emploient déjà, dans les banlieues et ailleurs, à façonner patiemment, de leurs petits doigts agiles, l'argile d'où sortira le français de demain, dont le prestige et le rayonnement dans le monde éclipseront bien vite celui de la langue de Voltaire et de Molière. Chacun sait, aussi, ou devrait savoir, que moins les Français se comprendront, à mesure que chacun pourra parler et écrire le langage de son choix, mieux se portera la
France !

Il y avait donc débat, fort confus comme il se doit dans ce genre d'enceinte. À mon sens, et cela m'a fort chagriné, il a été plutôt favorable, hélas, à ceux qui prétendent que la langue française n'est pas en péril. D'ailleurs, si les spectateurs présents étaient plus de 80 % à penser le contraire en début d'émission, ils n'étaient plus que 54 % à la fin. Et puis quelque chose m'intrigue. Je voudrais bien que vous, qui êtes un spécialiste de ces questions, m'éclairiez là-dessus, car je ne doute pas que vous ayez suivi avec attention cette cacophonie. Claude Hagège, dont j'ai lu le dernier bouquin à ce sujet, m'a donné le sentiment de considérer que la langue française n'était pas en danger (je ne suis pas linguiste, mais je suis, comme vous le savez bien, d'un avis parfaitement opposé). À quoi servent, alors, les associations de défense ? Voilà qui dessert gravement leurs intérêts et fait le jeu de leurs adversaires. Quelle explication donnez-vous à
cette étrange prise de position ?
 

Réponse et réflexions de Philippe Loubière :

Cher Monsieur Busnel, Je dois vous dire que je n'ai pas regardé cette émission, tout d'abord parce que je dois être le seul citoyen de notre pays à ne pas avoir la télé. Grâce à cela, mon fils de presque 12 ans sait lire depuis avant le CP et est capable de lire d'affilée un bouquin de 500 pages. Il s'agit bien sûr de lectures de son âge, pas du « Discours de la méthode », mais le fait est là.

Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle je n'ai pas regardé (mon ordinateur permet de recevoir la télévision). Je n'attend rien de bon de ce genre d'émission qui est davantage faite pour conforter la vérité officielle que pour ouvrir le débat et éveiller les consciences.

Le monde politique et le monde médiatique, qui ont fusionné dans les faits depuis belle lurette, ne retiennent qu'une « vérité », à savoir que tout va bien. Tout va bien, pour justifier qu'il n'y ait pas d'action publique et de politique de langue française ; tout va bien, pour qu'on puisse allègrement massacrer lexique et syntaxe du français sur les ondes, au petit écran et dans la pub (et quand ce n'est pas dans les écoles primaires !), sans être inquiété par une vigoureuse réaction de l'État ou de la justice.

Je suis convaincu qu'Albert Salon aurait pu dire bien des choses sur le sujet si la parole lui avait été donnée. De même que Marceau Déchamps que je connais bien et qui est depuis longtemps, à la tête de DLF, un défenseur du français « de terrain », comme on dit, et à qui je tire mon chapeau. Ils ont eu le mérite tous les deux d'affronter les feux de la rampe, mais il est très difficile de retourner en sa faveur une émission faite au pire contre soi et au mieux sans conscience du problème.

Ce genre d'émission n'a pas d'autre logique que de confirmer les poncifs et les hypocrisies de nos adversaires et rien de bon ne peut en sortir, sauf à être organisé par nous-mêmes - ce qui n'est guère d'actualité !

À défaut, notre mobilisation citoyenne doit être forte, et la presse de nos associations - Lettre(s) au premier chef ! - diffusée le plus possible, comme une espèce d'antidote à la télé !

En ce qui concerne Claude Hagège, je crois comprendre son point de vue (peut-être parce que je suis linguiste aussi !). C'est qu'il n'y a pas lieu de considérer que tout est fichu, et qu'il y a des raisons objectives de ne pas désespérer.

C'est vrai que nous avons l'État contre nous - ce qui est inouï si l'on réfléchit bien - mais nos associations sont un aiguillon et une fédération d'énergie indispensable, d'autant plus que la puissance publique est défaillante.

Et quand je dis « nos associations », je le dis dans un sens très large qui peut inclure selon le cas les syndicats, les associations de profs de français, les associations de distribution de livres français à l'étranger (voir l'exemple de Biblionef, présenté dans Lettre(s) n° 38), et bien d'autres, qui n'ont pas beaucoup de visibilité à la télé, certes, mais qui agissent !

 

P.-S. : Copie de ce courriel à Albert Salon, Régis Ravat et Marceau Déchamps.
 

 

Explication d'Albert Salon présent dans l'émission,  mais « muet » à l'antenne :

Je n’ai même pas voulu regarder cette émission, enregistrée il y a plus d’un mois.

Dès l’enregistrement, j’avais senti que tout cela était destiné à nourrir le discours convenu, les poncifs admis. Frustration pour tous les gens qui avaient des choses intéressantes et dérangeantes à dire.

Bern savait ce que je voulais dire, puisque nous en avions parlé auparavant lorsqu’il m’avait invité par téléphone. Il m’avait même dit que cela serait fort intéressant.

Mais une fois sur le plateau, en deuxième partie, il m’a passé la parole très tôt, après Tahar, pour me faire réagir sur un point mineur de politique des instituts à l’étranger. J’ai répondu brièvement, pensant qu’il allait me redonner la parole pour « le reste »… Il s’en est bien gardé. Et, d’après ce que tu me dis, on ne m’a pas du tout entendu…

Tu as vu le résultat. C’est proprement scandaleux. La télé manipulatrice dans toute son horreur !

J’ai bien compris : la prochaine fois, je parlerai d’emblée de l’essentiel, quelle que soit la question, ou reprendrai la parole « à l’abordage ».

 

Réflexions d'Aleks Kadar (militant) :

Catastrophique Picouly, qui n'a rien compris sur la défense du français : « Où défend-on le mieux l'anglais ? - Au Québec, où l'on parle le mieux l'anglais,
là où les gens sont bilingues. Les Français sont nuls en anglais ».

Comme si le lien de cause à effet était dans ce sens ... pffff . Il est nul, ce Picouly

Pas mal, Hagège, qui s'inscrit en faux à l'affirmation « c'est pas pour rien que le français a longtemps été choisi comme langue de la diplomatie ».

Il a bien précisé que c'était quand la monarchie était à son zénith.

« Chacun préfère sa langue maternelle »

« N'importe quelle langue est capable de poésie »

« Le pays où on assassine le plus le français, c'est la France », par exemple dans les entreprises françaises qui rendent obligatoire l'emploi de l'anglais.

Jolie prestation de Hagège, cette fois.

Hélas, un intervenant que je connais pas, auteur de L'Appât, prétend le trop commun lieu (lieu commun), que l'anglais lui aussi s'appauvrit.

Que l'anglais utilisé n'est qu'une langue de communication.

Chiflet : « la langue française est la plus compliquée du monde » ! pfffff !

François Raynard, du Figaro (?) est aussi a côté de la plaque quand il dit en guise de conclusion « il n'y a plus de face a face entre le français et anglais, mais entre un anglais appauvri de communication et la diversité linguistique »

Au final, le problème de cette émission, c'est qu'elle mélange tout : les "SMS", le franglais, les procès linguistiques, le bilinguisme, l'anglais, la francophonie, en 2e partie ...

Le principal problème, illustré par l'intervention de Robin Renucci « la langue française n'est pas menacée, elle a toujours été exposée à des influences étrangères », c'est la confusion entre axe interne (les anglicismes, le franglais) et l'axe externe (le français remplacé par l'anglais dans de plus en plus de domaines, en voie de régionalisation)
 

 

Réflexions de Mme Brigitte Laval (militante) :

De mon côté, je ne suis pas trop déçue de cette émission !

Bien sûr, je déplore le peu de temps de parole de Marceau Déchamps et le silence (voulu par le coupage) d'Albert Salon. Mais on a laissé parler Claude Hagège tout en faisant de la publicité pour son excellent livre « Combat pour le français » que je considère comme une excellente synthèse de tous les problèmes dus à l'anglais envahissant. Alors que dans une émission passée il y a environ 2 ans (France Europe express, je crois) il n'avait pu dire uniquement que le français ne régressait pas, mais progressait moins vite que l'anglais. C'était peu ! Là, il a pu parler et bien parler, et il a été très applaudi. Comme quoi les Français ne sont pas indifférents au sort de leur langue.

Le grand problème vient de l'ignorance du problème, ignorance que les médias entretiennent. Une telle émission, si elle a été largement écoutée, fait prendre conscience du danger. Et quand on réalise celui-ci, on ne peut que le combattre (sauf dans le cas des adorateurs du MacDo-Coca, du moins avant qu'ils ne tournent leur veste !). D'ailleurs, une telle émission a peut-être eu lieu suite aux deux procès (GEMS et Europ Assistance) qui ont montré qu'enfin des employés ont eu le courage de se rebeller contre le soi-disant "incontournable anglais, signe du progrès et de la communication mondiale" !

Donc, c'est un signe aussi que nous ne nous battons pas inutilement.

 

Réflexions de M. Charles Durand :

Si l'émission n'est pas du « direct », il faut probablement s'attendre à ce que le découpage fait par la station reflète l'opinion de ses responsables.

Un monteur habile peut même arriver à déformer un propos extrêmement logique et parfaitement articulé et faire passer les intervenants pour de doux rêveurs ou des imbéciles.

La méfiance doit rester à l'ordre du jour surtout vis-à-vis des médias de masse. N'oublions pas qu'ils font partie du groupe des responsables du triste état dans lequel sont les langues d'Europe occidentale au jour d'aujourd'hui.


 

Continuez de nous faire part de vos réflexions,

n'hésitez pas !

 

 

 

 

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