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Les anglolâtres au pilori !

Voici un article de Pierre Jourde paru dans le Nouvel Observateur du 18 novembre dernier, un article où les anglolâtres en prennent pour leur grade.

Pierre Jourde est chroniqieur, écrivain, professeur d’université et critique littéraire.

 

Causes toujours, par Pierre Jourde

Et maintenant, une petite page de scrogneugneu linguistique. Mais plutôt qu’une râlante de pépère grammairien, je souhaiterais qu’on y voie une jouissance tératologique. Il y a un vrai plaisir à observer des horreurs verbales, comme il y en a un à se repaître d’abominations littéraires (ah, les dialogues de Christine Angot ! Miam !) ou à scruter des monstres au microscope.

En découvrant le titre de cette chronique, certains se diront que, pour un universitaire chevronné, spécialiste de la littérature du XIXe siècle, mon orthographe laisse à désirer, et que j’ai dû obtenir mon agrégation, ma thèse et mon habilitation à diriger des recherches par la pratique intensive de la corruption et de la fellation. Eh bien pas du tout. Ces deux mots, ainsi orthographiés, figurent en très gros caractères sur une affiche abondamment placardée dans le métro parisien. Il s’agit de la publicité pour une exposition organisée par la MAIF, grande mutuelle enseignante (Rappelons, si besoin est, que la deuxième personne de l’impératif des verbes du premier groupe ne prends pas de S. Lis, apprends et dégage.)

Serait-ce un jeu de mots avec « causes », les causes pour laquelle on s’engage ? Espérons-le. Mais le résultat reste dommageable. Sans connaître le contenu de l’exposition, on ne peut lire sur l’affiche que l’expression toute faite, avec la faute, bien grasse. Et donc une mutuelle enseignanteenseignante, en-sei-gnante, contribue à grands frais à faire entrer cette erreur dans les esprits. Puisque c’est écrit en gros sur une affiche, c’est que c’est bon. Je dis bravo, les gars. Ceux qui en France devraient être les hérauts du combat contre l’illettrisme contribuent en fait à le répandre.

J’avais jadis évoqué dans cette chronique une affiche d’une association contre l’illettrisme qui commençait par : « Contre l’illettrisme, vous pouvez nous aidez. » Et les réformes de l’orthographe sont, pour lutter contre ce phénomène, un vaste foutage de gueule. Ce n’est pas parce qu’on décide que chausse-trape prendra désormais deux p (super !) qu’on fera quoi que ce soit contre le problème de fond. A l’université, on lit tous les jours dans des copies : vous pouvez nous aideznous aidaitnous aidaientnous aidénous aidés. A l’université, pas en CAP de vidangeur (profession pour laquelle je professe par ailleurs un respect proche de l’adulation). Réformons l’orthographe : donc supprimons les conjugaisons.

D’autres affiches fleurissent en ce moment pour des sociétés de pari. Celles-ci ne font pas dans le détail. Partant du principe qu’elles s’adressent à la lie du peuple, lie passée par l’école publique, donc analphabète, elles lui parlent comme à un ramassis d’incultes mal élevés : « Quand t’as la bonne cote », proclament les affiches, carrément. L’apprentissage de la langue par la publicité et la télévision anéantit les efforts de tous les instituteurs. Ils n’ont pas les moyens de lutter. Voir l’usage de la langue sur les réseaux sociaux.

De secrètes délices sont également suscitées (car si mes orgues sont tonitruantes, mes amours sont discrètes) par ma lecture des journaux féminins. Car, je l’avoue, je lis « Elle », quand je ne suis pas plongé dans quelque lourd in-folio de patristique pour débusquer les emprunts effectués par Huysmans. Le franglais des journalistes de mode cache de vraies pépites, que saura savourer le connaisseur (ici je demande à l’ami Alain Borer, si jamais il tombe sur cette chronique, d’éviter de lire la suite, un infarctus est vite arrivé).

À propos de l’underwear sporty (la formule est aussi atroce que la chose, véritable incitation au divorce), la journaliste de « Elle », Aurélie Gaillard, se pose la question qui nous brûle à tous les lèvres : Est-il cool en ville ? (Je pense demander à Nathalie, qui tient ma ferme dans le Cantal, si elle porte de l’underwear sporty, et si c’est cool à la campagne.) La réponse est complexe. Non, pas cool, si on l’entraîne sur un terrain trop streetwear. Oui, cool, si on l’inscrit dans une allure bossy, ou si on le laisse (l’underwear« s’exprimer de façon smart avec le cabas lady et des mocassins preppy ». Ici je demande une explication : comment une brassière fait-elle pour s’exprimer ? Qu’est-ce au juste qu’un cabas lady ? Est-ce que le cabas que j’utilise pour aller au marché est lady, quels sont les critères ? Je préférerais qu’on m’assure qu’il est bien sir (ou au moins boyish).

Résumons-nous : « Twistez sur un air easy chic. » C’est clair, non ? Là-dessus, Mme Gaillard donne quelques images de tenues underwear sportif. Il y a le gris biking, triangle et shorty, le noir hip hop, le nude yoga, le chiné stretching, le pink fitness, des suggestions de tenues idéales pour des activités aussi essentielles que le marathon shopping ou la virée hip hop, et une panoplie miss urban, plus proche de Sainte-Thérèse de Lisieux que de Madonna, mais peu importe. Ça, c’est du bon franglais bien de cheux nous, les mânes d’Etiemble et de Michel Serres n’ont qu’à aller voir à Frisco si j’y suis. Je suggère une prochaine chronique de « Elle » où on s’interrogera sur le point de savoir si l’underwear Damart high soutien est cosy, voire cool, porté avec des sandales Scholl trop swag pour des nights people à Maisons-Alfort, ou des afternoon petanking et pastissing à Pézenas.

(...) Suite sur : https://www.nouvelobs.com/les-chroniques-de-pierre-jourde/20191118.OBS21248/causes-toujours-par-pierre-jourde.html

Pierre Jourde

Source :.nouvelobs.com,  le lundi 18 novembre 2019 

 

 

 




Publié par Régis RAVAT le 22 novembre 2019

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Orthographe, corrections : contact.sy@aliceadsl.fr

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