Connexion    



Les quotas de chanson française sont-ils efficaces ? - Par Marc Beaufrère

La chanson française se porte bien, merci ! Il est loin le temps de la disette. Dans les années 80 / 90, les jeunes se tournaient massivement vers les groupes et chansons britanniques ou américains… 

Une première loi arriva en 1986, relative à la liberté de communication (article 28), et instaura des quotas minimaux de diffusion de chanson française (40% dans les radios diffusant des musiques actuelles) sur les radios pour éviter la disparition de la chanson française.

Une autre loi, le 1er février 1994 (dite « Carignon », distincte de la fameuse loi Toubon sur la langue française du 4 août, malgré ce qu’affirment certains articles de journaux de référence), réactualisa cette demande par l’amendement Pelchat. Le CSA a prévu à la suite de cette loi les modalités de son application en signant des conventions avec les radios. On se donnait enfin les moyens d’accompagner vers ce seuil de 40% et de sanctionner. Le 1er janvier 1996 entraient finalement en vigueur les quotas prévus en 1986.

C’était une forme de protectionnisme linguistique, qui s’inscrivait dans la continuité de la notion « d’exception culturelle » (i.e. la culture n’est pas un bien comme les autres). De nombreuses voix s’élevèrent pour critiquer le bien-fondé de cette loi. Certaines autres lois de protectionnisme culturel ont peut-être été peu efficaces (on moquait la francisation de certains termes, comme vacancettes pour remplacer weekend dans la loi Toubon de la même année), mais 25 ans après, on peut affirmer que l’histoire a validé cette forme de protectionnisme que sont les quotas. Essayons de comprendre ce qui s’est passé.

 

L’origine des quotas : comprendre la crise de la chanson française

Si on met en place des quotas minimaux pour obliger à diffuser des artistes francophones, cela veut dire que sans ces quotas, ces artistes n’auraient pas été diffusés. Déduction logique : si la chanson française était si bonne que ça, elle n’aurait pas besoin de quotas, on va donc s’obliger à écouter de la mauvaise musique.

Déduction apparemment implacable, mais qui oublie le problème des financements. Vous lancez une entreprise sur le marché français sur le même créneau qu’un mastodonte qui dispose de plusieurs milliards d’euros, votre entreprise part avec un handicap lourd. C’est bien ce qui s’est passé avec la chanson française. Le marché des locuteurs de langue maternelle et seconde anglaise est composé de plusieurs centaines de millions de personnes. L’industrie musicale anglophone, car c’est aussi une industrie, s’adresse à un public très nombreux et les sommes en jeux sont donc bien supérieures à celles du marché francophone. Une chanson anglophone qui arrive sur le marché francophone est donc déjà amortie et le public est déjà habitué à écouter des chansons en langue anglaise. Il y a donc une démultiplication du marché anglophone, avec un marché primaire et secondaire (écouteurs non natifs). Ce n’est pas (encore) trop le cas pour les chansons francophones, même si de plus en plus d’artistes français ou africains sortent de leurs frontières et resserrent les liens entre les pays ayant le français en partage.

Le danger était donc évident : que la chanson française disparaisse. Elle aurait disparu faute de financement. En effet, il faut inverser le raisonnement. Si l’on veut des chansons de langue française, il faut assurer la continuité de son financement. Il faut des sous. Par ailleurs, il faut le maintien d’un savoir-faire. Avec les émissions de télé-crochet, tout le monde sait maintenant qu’on a beau avoir du talent, on ne devient pas chanteur du jour au lendemain. Ça se travaille, encore et encore. Pour ceux qui ne sont pas payés, cela ne peut être qu’un loisir, ce qui limite le temps que l’on peut y consacrer. De plus, quand on est chanteur, il faut toucher le public. Il faut donc toute une logistique, tout un microcosme. Plus exactement, il faut avoir accès à un réseau (maison de distribution, techniciens, musiciens pour les tournées, journalistes qui repèrent les talents…), qui a également besoin de financement. Il faut également des lieux : studios d’enregistrement, festivals… autant d’éléments indispensables que je cite par souci de donner une vision d’ensemble, mais qui s’écartent du cœur de la démonstration. Enfin, le milieu de la musique, c’est aussi de la notoriété, un nom qui rassemble. En effet, une fois qu’une personne est connue, qu’elle a commencé à faire carrière, elle a un effet d’entraînement : elle fait connaître d’autres artistes (en faisant des duos, en citant ses influences…), elle peut partager son expertise patiemment acquise, autant d’éléments difficilement quantifiables mais pourtant indispensables. Essayez d’apprendre le piano ou la guitare tout seul (et sans tutos…), ou avec un bon professeur. Dans les deux cas, vous pouvez y arriver, mais dans l’un des cas, ce sera plus rapide. C’est donc tout cet équilibre qui était en danger par le tarissement des financements.

Si les financements étaient manquants, la cause première n’était pas la mauvaise qualité des chansons françaises (argument séduisant à première vue), mais plutôt la force de frappe de l’industrie musicale anglophone et la tendance naturelle à la concentration des entreprises (monopoles). Il s’agissait donc de recréer de la sécurité financière.

Un capital culturel à préserver

Par ailleurs, un aspect qui m’est cher est l’aspect culturel et « patrimonial » si l’on peut dire. Un savoir-faire, une tradition de chanson française s’est transmis, renouvelé à chaque génération, et on allait assister à la fin de cela. La chanson / musique en langue française permet de donner une coloration différente aux mots, permet de donner des références communes, permet de rassembler sans que cela soit en dehors de notre langue. Des artistes continuent à travailler sur les mots, les sons, pour nous raconter des histoires, pour dialoguer avec nous en français et il me semble que c’est quelque chose qu’il ne faut pas perdre, sous peine d’une forme d’aliénation culturelle collective. En effet, une part de la réalité serait racontée dans une langue qui n’est pas la nôtre. Les locuteurs dont ce n’est pas la langue maternelle ont un effort supplémentaire à faire pour s’exprimer dans cette langue, ont un handicap comparatif. Ils doivent d’abord apprendre une deuxième langue (il faut avoir le temps), et ensuite chanter dans cette langue, sachant qu’un chanteur français chantant en anglais aura très peu de chances de s’imposer sur le marché anglophone (à part la French Touch et Céline Dion…). On aura donc des chanteurs français chantant en anglais pour un public francophone, alors que leur langue commune est le français.

Il s'agissait donc de recréer les conditions d'une pérennité des investissements pour permettre la survie de ce microcosme qu'est la chanson française. C'est là qu'arrive la loi "Carignon" de 1994.

Suite sur http://lavoixfrancophone.org/les-quotas-de-chanson-francaise-sont-ils-efficaces/

 

 

 




Publié par Régis RAVAT le 18 juillet 2019

0 personne aime cet article.


Orthographe, corrections : contact.sy@aliceadsl.fr

Défendez le français, financez des procès,

nous ne recevons aucune subvention !


Inscription à l'infolettre!

S'il vous plaît, veuillez entrer votre courriel

Digital Newsletter

Pour vous desinscrire, veuillez cliquer ici ».