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Tristesse : la langue française perd son meilleur rockeur !

« Toute la musique que j'aime, elle vient de là, elle vient du blues (1) j'y mets mes joies, j'y mets mes peines et tout ça, ça devient le blues (1), etc. »

Je sais, je sais, il ne fait pas bonne impression, lorsqu'on se dit défenseur de la langue française, d'aimer le Rock n' roll et Johnny Hallyday de surcroît.

Pourtant à mon corps défendant, j'aime la musique qui balance et l'idole des jeunes des années 60 qui a eu l'immense mérite de chanter cette musique-là en français, ne m'est pas antipathique, loin de là.

J'ai toujours pensé que cantonner notre langue dans les seuls créneaux du littéraire, ou du culturellement correct, n'était pas suffisant pour son rayonnement.

Le français, langue internationale et universelle, doit être présent dans tous les domaines et ceux qui y contribuent doivent être félicités et encouragés.

On sait que nos chercheurs et scientifiques publient leurs travaux en anglais, que l'informatique, comme bien d'autres domaines de la haute technologie, est largement dévolue à l'anglais, que la publicité, la mode, le commerce partaugent dans l'anglomanie, etc., alors honneur à Jean-Philippe Smet plus connu sous le nom de Johnny Hallyday, qui a chanté en français le blues (1) et le Rock' n Roll (1).

Je me souviens avoir lu dans une revue « littérairement correcte », organe d'une association de défense du français, des propos critiques à l'encontre de Patrick Bruel. On lui reprochait des tournures de phrases alambiquées du style: « ce que je dis, le le dis parce que je le pense au moment où je le pense », ou encore « Je veux me laisser le choix de mes choix ». Certes ce français-là est à éviter, mais de grâce ne tirons pas sur le pianiste, sous peine de ne plus avoir de musique du tout.

Parlons plutôt de l'exploit qu'il a réalisé en parvenant à réunir plusieurs dizaines de milliers de jeunes gens dans des concerts en Hollande, pays comme l'on sait largement soumis à l'emprise anglo-saxonne, tout en précisant que ces jeunes gens chantaient avec lui en français.

Les Rolling Stones, groupe anglais bien connu, chantait dans un anglais déplorable, argotique et trivial, cela n'a pas empêché que des millions de gens de par le monde aient voulu apprendre l'anglais rien que pour s'identifier à eux, à leur style et à leurs chansons.

Pourquoi ne pas faire de même avec nos chanteurs, en profitant de leur aura et de leur charisme pour attirer les non-francophones vers le français ?

Enfin, pour finir je parlerai d'un soir de juin à Montréal, au Québec. où, prenant un pot au Picasso Bar, rue Saint Denis, je vis partir dans une superbe décapotable, cheveux au vent et musique à fond le volume, quatre jeunes gens. 

Leur voiture tourna rue Sainte Catherine, direction Westmont, le quartier anglophone.
C'était un 24 juin. c'était Johnny qui chantait. 

 

(1) Style de musique dont le nom est difficilement traduisible.

 

Johnny Hallyday, mort d'un monstre sacré

Le chanteur est décédé à 74 ans. Toute sa vie, il aura été fidèle au rock'n'roll tout en se renouvelant sans cesse. Refusant toute tricherie, il se mettait à nu pendant ses concerts et le public le lui rendait bien. « Il a cru en ce qu'il a fait », c'est ce qu'il voulait qu'on écrive sur sa tombe.

Maurice Chevalier avait, un jour, pris le chanteur à part : « Petit, tu soignes ton entrée et ta sortie de scène. Entre les deux : tu chantes. » 

Ce conseil est peut-être la meilleure métaphore de la vie de Johnny. Son entrée fracassante, au début des années 1960, annonce Mai 68, une révolution que personne n'a vu venir.

Quant à sa sortie, Johnny a tellement hanté le roman national que l'idée même d'hommages du même nom n'apparaîtrait aujourd'hui absurde pour personne, sauf pour les tristes figures. 

« Johnny, c'est le Victor Hugo de la rengaine, disait de lui son copain Carlos. S'il meurt, la France s'arrête. Son public est en larmes, « et tout le pays est en deuil », a commenté le président de la République Emmanuel Macron.

Il n'est pas sûr que l'on tire vingt et un coups de canon depuis les Invalides, ni que son cercueil, drapé de noir, repose sous l'arc de triomphe, comme pour l'auteur des « Misérables ». Mais il pourrait y avoir autant de monde dans les rues, deux millions de personnes, que le 1er juin 1885.

Détonateur musical

Le 21 juin 1963, cent cinquante mille jeunes (quand la police en attendait cinq mille) affluent vers la place de la Nation pour un concert géant qui finit dans le chaos le plus total. À l'époque, le général de Gaulle commentait : « Johnny Hallyday ? Mais si ce jeune homme a de l'énergie à revendre, il faudrait l'envoyer casser des cailloux ! »

Cinq années après le concert de la Nation, les mêmes descellaient des pavés. À défaut de cailloux, ils cassèrent des voitures. Johnny fut « le détonateur musical du grand chambardement musical et sociologique qu'on qualifiera vite de l'ère des yéyés », écrit Fabien Lecoeuvre dans « La Véritable Histoire des chansons de Johnny Hallyday » (Hugo & Cie, 2017).

C'est la fin d'un système, l'époque de prospérité d'après-guerre incarnée par le général de Gaulle, la libération des énergies d'une jeunesse bridée par les entraves idéologiques de leurs parents qui écoutent Édith Piaf, Luis Mariano et Tino Rossi.

Porte-parole des jeunes

À travers cet archange blond de dix-sept ans, ce sont des millions de jeunes Français issus du baby-boom qui expriment leur volonté d'exister au milieu des plaisirs nouveaux de la société de consommation. Johnny va devenir leur porte-parole, leur symbole. Avant lui, aucun adolescent français n'avait aussi bien incarné le rêve américain, si cher à cette génération

L'IDOLE DES JEUNES

La bombe Johnny explose le 14 avril 1960. Elle dure 2 minutes et 31 secondes. « T'aimer follement » figure sur son premier vinyle en compagnie de « J'étais fou », « Oh ! Oh ! Baby » et « Laisse les filles ».

Pour que les choses soient claires, le mot « rock », écrit en gras, accompagne chaque titre. Sur la pochette, Johnny, chemise noire à fines rayures blanches, col relevé, est à genoux, déhanché sur sa guitare, il chante ; les yeux joyeux de sa jeunesse, son sourire, attrapent l'objectif.

Au dos, on lit : « Seize ans à lui tout seul, un tempérament d'enfer, un rythme fou, possédé par le démon du rock, tel est JOHNNY HALLYDAY. C'est un jeune qui compose pour les jeunes de la musique jeune. 

Américain de culture française, il chante aussi bien en anglais qu'en français. Il a choisi pour vous trois de ses meilleures chansons [...] et « Makin'Love » (« T'aimer follement ») qu'il a tenu à enregistrer pour vous, mais qui lui tenait parfaitement à coeur. » (On appréciera le « seize ans à lui tout seul ».)


RAZ-DE-MARÉE DES VENTES

Quelques jours plus tard, « l'Américain de culture française » fait sensation à la télévision dans l'émission « L'École des vedettes ». Mais c'est surtout avec son deuxième titre « Souvenirs, souvenirs », paru en juin chez Vogue, qu'il marque les esprits.

Devant le raz-de-marée des ventes, le label fait signer à sa tante, Hélène Mar, son premier contrat de star : 5 % sur les ventes contre 4 % précédemment.

Johnny est mineur, son père s'est évanoui dans la nature ; sa mère, coiffeuse, employée de crémerie, puis mannequin-cabine, l'a confié à sa soeur.

L'adolescent du quartier Trinité, dans le 9e arrondissement de Paris où traînent déjà, à une encablure du Golf-Drouot, Claude Moine, bientôt Eddy Mitchell, et Jacques Dutronc, fait scandale. Il se jette au sol, se roule par terre en hurlant des onomatopées qui inspireront au sociologue Edgard Morin, l'expression « yéyé ».

À la sortie des concerts, les blousons noirs cherchent la baston avec la police, chaîne de fer à la main.

Sur une radio, un animateur casse en direct un de ses disques en prévenant : « C'est la première et la dernière fois que vous entendez ce Johnny ! » François Mauriac s'indigne du « delirium tremens érotique » du chanteur. « [Les jeunes] trouvèrent sans l'avoir cherché quelque chose qui donnait vraiment la nausée aux adultes, écrit Daniel Rondeau, ami et confident depuis le début des années 1970.

Du jamais-vu, du jamais-entendu, ils en redemandèrent. Quintessence de l'âge ingrat : plus c'était sexuel, vulgaire, violent, mieux c'était. [...] Dans notre pays, un fauve au sourire d'ange surgit sur les scènes des music-halls et des salles de cinéma. Sa dégaine fut aussitôt une légende. » (« Johnny », Nil Editions, 1999.). Il faisait si peur le fauve que certaines salles de spectacle refusaient de l'engager. Des décennies plus tard, sa mémoire en gardait encore les noms : le Week-End, le Touriste, le Moulin Rouge, l'Orée du Bois.


LES CHIFFRES D'UNE CARRIÈRE FOLLE

  • 3257 concerts

Johnny était avant tout un homme de la scène. Jusqu’à l’été dernier, Johnny était sur les planches, donnant tout ce qu’il pouvait. Selon le Parisien, il a assuré en tout 3257 concerts au cours d’au moins 187 tournées. Le "Elvis Presley" des Etats-Unis a même donné joué une centaine de fois sur le continent américain.

  • 110 000 000 disques vendus

Le Taulier est l’un des artistes français qui a vendu le plus de disques. Au compteur : 110 millions depuis le début de sa carrière en 1960. Le record est détenu par Tino Rossi avec 700 millions d’albums écoulés dans tout le monde.

  • 79 albums

Parmi ces 110 millions de disques vendus, Johnny Hallyday a composé 50 albums studios et 29 albums live. L’idole des jeunes a en tout plus de 1000 chansons au compteur. Johnny Hallyday est connu pour être aussi le roi des duos, il a chanté plus de 540 fois avec un artiste, comme Sylvie Vartan ou encore Eddy Mitchell, son ami de toujours.

  • 40 disques d’or

L’interprète de Que je t’aime a collectionné les récompenses. Au cours de sa carrière, Johnny Hallyday a remporté 40 disques d’or grâce à des tubes comme Requiem pour un fouGabrielle ou encore Allumez le feu. Son plus grand succès reste le disque Gang, sorti en 1986, sur lequel apparaissent les morceaux J’oublierai ton nomJe te prometsQue je t’aimeLaura.

  • 10 Victoires de la musique

Reconnu par ses pairs, Johnny Hallyday a gagné 10 Victoires de la musique, ce qui lui vaut d’être le deuxième artiste le plus récompensé après Alain Bashung. Parmi ces Victoires : interprète de l’année en 1987, album de l’année avec Sang pour sang en 2000, De l’amour en 2016, meilleure tournée ou concert de l’année en 1991, 1994, 1996, 2001 et 2010. Enfin, il a obtenu la Victoire de la plus belle chanson en 2014 avec 20 ans et une Victoire d’honneur en 2009. Chapeau, l’artiste. 


DE SYLVIE À LAETICIA

Feuilleter l'album de la vie de Johnny, c'est aussi un peu feuilleter le nôtre.

En 1964, Jean-Philippe Smet est appelé sous les drapeaux et la France suit son incorporation comme l'Amérique avait suivi celle d'Elvis Presley. Elle suivra bientôt son mariage à Loconville (Oise) avec Sylvie Vartan et la naissance de David, en août 1966. Puis son divorce en 1980, son idylle avec Nathalie Baye et la naissance de Laura ; les péripéties de son histoire avec Adeline Blondeau, dite « Dadou », la fille de son ami Long Chris. Elle a vingt ans, lui, cinquante.

Jusqu'à sa rencontre avec Laeticia Boudou, dans un restaurant japonais de Miami et l'adoption de Jade et de Joy en 2008, le lendemain de Noël. « Elle me protège, dit-il. J'ai mes vices, mais j'ai besoin d'elle. Elle m'apporte ce que d'autres n'ont jamais su me donner. »

« UN DIMANCHE DE JANVIER »

L'histoire de Johnny est tellement liée à celle de la France que c'est à lui qu'on fait appel, dans les moments festifs comme pour les drames.

En 2002, on lui demande l'hymne officiel de la Coupe du monde de Ballon (« Tous ensemble »). Et dans un registre plus sombre de chanter, le dimanche 10 janvier 2016, place de la République à Paris, lors de l'hommage aux victimes des attentats qui ont endeuillé la France, « Un dimanche de janvier ».

Vêtu de noir, entouré des choeurs de l'armée française, il pose sa voix sur les mots de Jeanne Cherhal : « Pour apaiser la peine de tout un pays soulevé, venu sans peur et sans haine, ce dimanche de janvier, pour garder en mémoire, nos héros d'encre et de papier nous étions restés debout jusqu'au soir, ce dimanche de janvier. » 

Quelques semaines plus tôt, à Bercy, la scène s'était éclairée en bleu, blanc, rouge et à la fin de la chanson, Johnny avait accroché un drapeau français au pied de son micro tandis que les spectateurs lançaient une Marseillaise.

La classe politique aime lui déclarer sa flamme, rarement l'inverse. On dit que le 1er mai 1974, il a envoyé une corbeille de muguet à l'épouse de Valéry Giscard d'Estaing. Il compte parmi ses fans Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin, Xavier Bertrand, Patrick Balkany ou Jacques Chirac. 

À  l'Élysée, avec le président, ils ont partagé un coq au vin arrosé à la Corona. Ce qui ne l'a pas empêché de sympathiser l'espace d'un dîner organisé par Valérie Trierweiler avec François Hollande ou de s'afficher à la Fête de « L'Huma » avec Georges Récemment Emmanuel Macron s'est rendu à un concert des Vieilles Canailles. Transcourants, Johnny ? « Il est apolitique, c'est-à-dire a-politique de droite », écrivit un jour François Jouffa dans « Marianne ». Mais pas d'extrême droite. « Les fachos, ça non... Je ne peux vraiment pas. » 

En 1998, il reconnaissait : « Je n'ai pas voté depuis que De Gaulle est parti. Je n'aime pas beaucoup ce qui se passe en politique. Trop de corruption de tous les côtés. Et trop d'hommes politiques qui ne rêvent pas à la France, mais qui rêvent simplement d'être des stars. Ils rêvent tous à leur carrière, De Gaulle, lui, rêvait à la France. »


ÉTERNEL BALADIN

Johnny a traversé toutes les époques, épousant les évolutions de la société sans jamais perdre son âme. Un mystère ?

Daniel Rondeau en donne, peut-être, la clef : « Ce qu'il y a de plus étonnant avec lui, c'est qu'il arrive encore à nous faire croire que le moment magique du rock'n'roll n'est pas mort depuis ses premières mesures. Le résultat de cette persévérance de quarante années, c'est un homme irradié par le show-business, par l'exhibition permanente de son visage, de ses muscles et de sa sueur, par les exigences de la ferveur médiatique, mais qui a su garder assez miraculeusement un sourire et un entrain de baladin, ce baladin qu'il était dans sa chemise Far-West de ses douze ans, et que rien, ni personne, ni les années, n'ont pu tuer.

Le baladin paraît un peu désaccordé du monde. Son regard parfois est vide, et il n'est pas difficile de deviner que son âme a brûlé dans tous les cercles de l'enfer. »

Johnny : « Je sais que le bonheur n'existe pas. Il n'y a que la douleur. Et la solitude. J'en parle souvent parce que je ne peux parler que de ce que je connais. Quand je dis parler, c'est chanter. » Et surtout, chanter sur scène : « Etre doublé dans le journal/Par son image/Et avoir de ses nouvelles en tournant les pages/Loin de la presse à scandale/Dire sa vérité/A l'heure de monter sur scène/Yeux fermés, poings serrés/Chanter n'est pas jouer... » (« Chanter n'est pas jouer », paroles de Marie Nimier et Jean Rouaud).

Mais quand on a aligné cinquante albums vendus à cent vingt millions d'exemplaires, mille chansons, des milliers de concerts, trente-neuf disques d'or et dix victoires de la Musique, comment surprendre encore ? Comment avoir l'envie d'avoir envie ?

Philippe Labro (« Jesus-Christ », qui fit scandale, « oh, ma jolie sarah », qui fit un tube, « Fils de personne », Mon Amérique à moi ») : « Il n'y a aucun mystère, confie celui dont l'amitié a traversé les décennies. Contrairement à l'idée que certains comiques ont voulu faire valider, il est d'une grande intelligence. Il est très proche de son public. Il a une idée très précise de ce qui lui plaira ou ne lui plaira pas, ce qui n'exclut pas des prises de risques. Il a l'instinct et l'intuition qui lui permettent de trouver les bonnes chansons. Il cherche ce qu'il veut plus que ce qu'il ne veut pas. »

Quand on demandait à Johnny ce qu'il voudrait qu'on écrive sur sa tombe, il répondait : « Il a cru en ce qu'il a fait. »


HISTOIRE D'AMOUR AVEC LE PUBLIC

Le public. « À la Vie, à la mort ! », les gens le savent qui n'aiment pas les tricheurs. Personne n'a oublié ces images de Johnny traversant à pied la fosse du Parc des Princes, lors du concert de ses 50 ans, pour rejoindre la scène au risque de se faire happer par la foule. Personne n'a oublié ces soirs d'orage au Stade de France où, dans la clameur de ses fans, même le ciel pleurait.

« Il y a dans l'affection très profonde du public pour Johnny Hallyday un phénomène qui va au-delà des sexes et des classes sociales, soulignait Jean-Jacques Goldman. Le comprendre nous éclairerait probablement sur nous, Français. »  « Quand je pense à lui, dit Catherine Lara, je le vois en train de tomber à genoux devant le public. » En 2002, dans « Entre nous », il chante : « Entre nous aucune demi-mesure/Entre nous toujours cette histoire qui dure... Une histoire d'amour entre nous/Depuis le premier rendez-vous. »

Oui, même si la phrase est facile, on a tous quelque chose en nous de Johnny. Parce qu'il a toujours surpris, ne s'est jamais ménagé, a sans cesse repoussé les limites, a pris tous les risques, n'a jamais triché. « Monstre sacré », l'expression semble avoir été sculptée pour lui dans le bois d'une guitare.

Dès 1969, Lucien Bodard, plus familier des rizières indochinoises que des travées de fauteuils du Palais des Sports, écrivait de façon prémonitoire dans « France-Soir » : « Johnny qui se dépouille, qui s'écroule, qui, terre à terre, torse nu, pousse des cris haletants où l'on distingue : « Je t'aime », « Je te déshabille », « Je te veux ». Johnny maître de la technique de l'exploitation des instincts primaires sur un fond de neurasthénie. »


SOUFFRANCE AVOUÉE

Et plus loin : « Johnny n'est plus l'idole mais il est devenu un monstre sacré. » « Sexe et neurasthénie : c'était assez bien vu, commente Rondeau. Car si Johnny est passé de son statut d'idole à celui de monstre sacré, c'est qu'il n'avait pu dissimuler son visage de souffrance.

Ne pouvant le cacher, il l'avait mis en scène. Il y avait désormais un Johnny de lumière et un Johnny des ténèbres. Ce dernier ressemblait à un homme qui aurait marché en brandissant sa tête au bout d'une pique. Cette souffrance avouée était son point d'honneur visible. »

Depuis toujours, la nuit, surtout, est son cauchemar. « A dix-sept ans, se souvient Jean-Jacques Debout qui l'accompagnait lors de leur première tournée, il refusait que je sorte de sa chambre d'hôtel avant qu'il soit endormi. Il s'agrippait à mon cou et me serrait jusqu'à ce que le sommeil l'emporte. » (« L'Express », novembre 2002).

Quand la nuit tombe, l'angoisse monte. Il faut qu'il sorte afin de ne pas laisser ses démons l'envahir. Johnny n'aime pas danser, trouve « naze » la musique que l'on passe dans les boîtes, mais sortir est le seul moyen qu'il a trouvé pour ne pas être seul. Seul, mais pas solitaire. La nuit, il dort une heure et se réveille en nage. L'enfer de la nuit commence, alors. Pour retarder ce moment, il enchaîne les films. « À 21 heures, j'attaque un Kazan, puis un deuxième. Puis un Huston, puis un Ford. Les bons soirs, je suis capable d'en aligner cinq ou six de suite. »

 

« ORGIE PERPÉTUELLE »

Ses amis, ses amours, ses emmerdes. On sait tout, on croit tout savoir du « Johnny Circus & Co ». Ses nuits de « destroyance » - néologisme hallydayen -, ses malaises en fin de concert dans les années 1970, ses courses folles à deux cent à l'heure sur des petites routes et les accidents, ses prises de coke, d'amphétamines - de tout ce qui lui tombait sous la main, à vrai dire - sa tentative de suicide (au moment du divorce d'avec Sylvie), ses montagnes de dettes, sa rupture avec sa maison de disques, ce procès pour viol présumé.

« Une icône impatiente de jouir et de souffrir, ajoute Rondeau. Et couverte de femmes. Hallyday a toujours vécu dans une atmosphère d'orgie perpétuelle. » Comme l'écrivit pour lui Catherine Lara dans « Laisse tomber » : « Je reste le même/J'irai jusqu'au bout/Jusqu'à cet extrême qui peut rendre fou. »

Pour autant, comme Édith Piaf, Johnny ne regrette rien. Il le chante dans « Si c'était à refaire » : « Parfois je regarde en arrière/Et l'ombre dévoile ses mystères/Oui trop souvent dans mes nuits solitaires/J'ai traversé des brouillards éphémères/Mais à quoi bon vouloir brûler ce qui fut ma vie/Non je n'ai rien à regretter aujourd'hui/De ce que je suis. » (paroles d'Hugues Aufray).


FIGURE PATERNELLE

Il y a cette douleur du père aussi, un saltimbanque alcoolique qui ne se manifesta jamais sauf à distance en se servant de son fils. Il ne réglait pas ses notes, déclarant juste : « Je suis le père de Johnny Hallyday. » La plupart du temps, ça suffisait. « Quand je suis devenu vraiment Johnny Hallyday, c'est-à-dire riche et célèbre, plus célèbre que riche d'ailleurs, j'ai continué à penser à mon père. Il m'intriguait. Je l'ai fait venir à Paris. Je me suis retrouvé en face d'un clodo. »

Johnny l'emmène chez Cerruti pour acheter quelques costumes et des chemises correctes. Quelques jours plus tard, Cerutti appelle : son père a essayé de revendre ses habits au quart du prix. Cette figure paternelle hante Johnny au point qu'il sera longtemps fasciné par Hamlet. Il consacrera au héros tourmenté de Shakespeare en quête du fantôme paternel un double album. Une comédie musicale devait suivre mais l'échec commercial du disque a fait capoter l'affaire. « To be Johnny ? Or not to be ? »

« Johnny est un survivor. » « Mon métier et ma vie sont intimement mélangés. Je suis un chanteur de rock'n'roll. Et je ne changerai pas. C'est ma sincérité jusqu'à en crever. L'impression d'être un survivant ne me quitte plus guère.

Il reste Mick Jagger et moi. Les autres ? Certains sont devenus relativement tôt des petits bourgeois, ils se sont abonnés aux sucreries. Ceux qui ont mené notre vie, je les connais bien. Mon ami Jim Hendrix ? Mort. Brian Jones ? Mort. Et moi, je suis comme ces grands malades qui se battent pour ne pas mourir. » (« Le Monde », janvier 1998.)
 

DES AUTEURS QUI L'ADULENT

Au cours de sa carrière, Johnny a pu et su mobiliser toutes les énergies, toutes les émotions attachées à son personnage, à son histoire, à sa mythologie. La liste des auteurs-compositeurs qui lui ont donné des textes est aussi longue que prestigieuse, à commencer par Michel Berger, Étienne Roda-Gil, Jean-Jacques Goldman ou Matthieu Chedid. Comme s'ils avaient à coeur de lui offrir la plus belle plume de leur chapeau.

« J'admire son intégrité, notait Axel Bauer. Il a voyagé à travers tous les styles, tous les univers sans perdre son âme. Sa voix, son parcours sont exceptionnels. On a tous envie d'écrire le morceau de rock de lui qui passera à la postérité. » Marc Lavoine : « Travailler avec lui est émouvant, car il y a toute la vie qu'on a vécue avec lui sans qu'il le sache. Se retrouver chanté par l'homme que l'on a toujours connu, c'est troublant. »

Stephan Eicher : « Avec Johnny, ma chanson devient vraiment la sienne. Il a une tonalité, une façon de swinguer qui n'appartient qu'à lui. Johnny, c'est un soul man. » Axel Bauer : « Johnny a un placement à lui, un feeling à lui. Son phrasé est si riche qu'il s'approprie complètement la chanson au point qu'on se sente dépossédé. Il remplit tout. »

« Un homme libre »

Gérald de Palmas qui lui a fait le cadeau de « Marie » en 2002 a gardé le souvenir des séances d'enregistrement au studio Guillaume Tell comme d'un pur moment de bonheur. « Johnny est très proche de l'image qu'on a de lui. C'est le garçon le plus rock'n'roll qui soit. Il vit tout à fond, sans aucune crainte de quoi que ce soit. On le sent habité par tout ce qu'il a traversé. C'est impressionnant. »

De ce sentiment, de Palmas a fait une chanson, « Un homme libre ». « Ne me demande pas d'être quelqu'un d'autre. Que moi-même/Je suis un homme libre/Est-ce que ça te plaît ?/Sinon oublie-moi/Ce que font les autres m'importe peu/Etre libre n'a pas de prix. »


LA MORT

La mort, Johnny l'a côtoyée toute sa vie. « J'ai peur de la mort, confiait-il à Daniel Rondeau, il y a vingt ans. Prendre ma voiture et me tuer en allant à Deauville ne me fait pas peur.

Mourir dans l'action ne me fait pas peur, mais la certitude de l'échéance inévitable est effrayante. Attendre quelque chose qui va arriver, je crois que c'est le pire. Dans l'absolu, mon rêve, c'est d'y passer violemment, sans m'en rendre compte. James Dean. » Le destin en aura décidé autrement.

Mais le feu que Johnny a allumé ne s'éteint pas avec sa disparition.

Thierry Gandillot / Chef de service

Source : www.lesechos.fr, le mercredi 6 décembre 2017


Salut Johnny, salut l'artiste !

MERCI !

Salut Johnny et merci !

 

 




Publié par Régis RAVAT le 07 décembre 2017

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