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Le 17 e Sommet de la Francophonie, c'est parti !

Le XVIIe Sommet de la Francophonie se tiend les 11 et 12 octobre 2018, en Arménie. Espérons que ce Sommet sera l’occasion de réfléchir à des pistes de réformes pour créer les conditions d’une communauté francophone plus solidaire, plus forte.

Ce sommet sera aussi l'occasion d'élire un nouveau Secrétaire général de l'OIF, l'organisation internationale de la Francophonie, comme cela se fait tous les quatre ans.

L'actuelle secrétaire, Mme Michaëlle Jean, se représente à ce poste, mais la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Mme Louise Mushikiwabo, s'y présente aussi, et, fait intéressant pour elle, elle a le soutien de la France, ou plutôt d'Emmanuel Macron, l'anglomane. La France étant le principal bailleur de fonds de l'OIF, ce soutien pèse beaucoup dans la balance et, du coup, ce n'est certainement pas un hasard, si un grand nombre de chefs d'État africains ont décidé de suivre le président Macron dans ce choix.

Triste choix, en fait, puisque Mme Louise Mushikiwabo est une ministre du président Paul Kagame, un dictateur aux ordres de l'anglosphère qui a fait basculer le Rwanda francophone à l'anglais, et triste choix aussi du côté de Mme Michaëlle Jean accusée par le Premier ministre du Québec, Philippe Couillard, de mener la grande vie dans des hôtels 5 étoiles, aux frais de l'OIF.

Ces candidatures de personnes qui ne transpirent ni la passion de la langue française ni celle des peuples qui la parlent, sont guère réjouissantes pour l'avenir politique et économique de la Francophonie institutionnelle.

Ce manque de sérieux dans le choix du futur secrétaire général de la Francophonie est d'autant plus regrettable que la crise des migrants, celle à venir des réfugiès climatiques et économiques, ainsi que la montée des extrémismes, nécessiterait de faire de la Francophonie institutionnelle, une arme réelle de développement massif pour que les pays du Sud puissent fixer leurs populations en leur donnant les moyens de vivre et de travailler dignement dans leurs pays respectifs.

 

Quand la télévision Arménienne parle de la Francophonie !

En route vers le XVIIe Sommet de la Francophonie, la Télévision publique d’Arménie a lancé une série d’entrevues exclusives avec les ambassadeurs des pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Ici, l’invité de la Télévision publique est l’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française auprès de la République d'Arménie, Jonathan Lacôte.

Au sujet de Jonathan Lacôte

Jonathan Lacôte, né le 15 septembre 1972, est un diplomate français. Il est depuis 2017 ambassadeur de France en Arménie. Jonathan Lacôte a suivi une scolarité à Hove (Royaume-Uni), Treillières, Nantes et Paris. Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'Institut national des langues et civilisations orientales en hongrois et estonien, il est entré au ministère des Affaires étrangères par le concours de conseiller des affaires étrangères du cadre d'Orient dans la section « Europe centrale » en 1997.



Les autorités arménienne se préparent au Sommet de la Francophonie

Le discours d’ouverture du Ministre des Affaires étrangères d’Arménie, Zohrab Mnatsakanyan, lors de la 35e session de la Conférence ministérielle de la Francophonie, les 8 et 9 octobre derniers.



Le français, notre bien commun ?

Par Alain Mabanckou et Achille Mbembe

Le président Emmanuel Macron est déterminé, semble-t-il, à « déringardiser » la langue française et se fixe même comme objectif de la catapulter au deuxième rang mondial. C’est certainement une bonne nouvelle, sauf qu’elle est ennuagée par un grave différend, et ce différend a pour nom « francophonie ». À sa décharge, Emmanuel Macron ne s’exprime plus dans les termes antédiluviens d’Onésime Reclus, le géographe auquel beaucoup attribuent l’invention de ce mot « francophonie ».

C’était au XIXe siècle, dans la foulée du second Empire colonial et de la restructuration géopolitique du monde. La France venait de subir une cuisante défaite militaire à Sedan et avait, au passage, perdu l’Alsace-Lorraine. Sa position en Europe était fragilisée et, avec elle, l’idée qu’elle se faisait de sa grandeur. Il fallait conjurer le spectre humiliant de la décadence, et plusieurs, dont Jules Ferry, virent dans le projet d’expansionnisme colonial la panacée qui allait éradiquer la spirale de la déchéance de la grandeur française. Parallèlement, de cet expansionnisme, beaucoup avaient une conception étroitement mercantiliste héritée de l’Ancien régime. À leurs yeux, les possessions coloniales étaient avant tout des comptoirs de commerce. Elles faisaient partie d’un domaine hors-la-nation, sur lequel cette dernière exerçait un droit éminent de prédation.

Onésime Reclus et la FrancophonieChez Onésime Reclus cependant, mercantilisme et prédation ne suffisaient guère. Il fallait quelque chose de plus. Un supplément. Quelque chose qui résisterait à l’épreuve de la durée. Ce quelque chose ne pouvait venir de la sève fécondante des Français. Ceux-ci fournissaient beaucoup moins d’émigrants outre-mer que tout autre État européen et, par ailleurs, la stagnation de la population et le besoin de main-d’œuvre dans l’industrie ne permettaient guère de peupler en nombre les colonies nouvellement acquises.

Ne pouvant donc renforcer son emprise hors d’Europe avec une population diminuée, peu féconde et rétive à l’émigration, la France n’avait plus qu’une seule solution : l’assimilation des peuples conquis par le biais de la diffusion de sa langue...

De fait, à l’origine, la francophonie se veut l’équivalent linguistique du pouvoir du sabre. Elle est, pour reprendre une vieille formule, un « appareil idéologique » à part entière de l’impérialisme français. À ce titre, elle a pour fonction l’utilisation de la langue coloniale dans le but d’imposer la loi d’un pouvoir sans autorité à des peuples vaincus militairement. Chez Onésime Reclus les « Francophones » ne sont pas tant ceux et celles qui, bien que n’étant pas Français, parlent le français. Ils sont, avant tout, ceux et celles parmi lesquels le français « règne », c’est-à-dire ceux et celles qui, ayant ingurgité cette « substance » qu’est le français, sont devenus des sujets d’une langue qui, en retour, exerce désormais sur eux, y compris à leur insu, un pouvoir sans limite, sans réserve ou sans durée. Par conséquent, dès son origine, le système francophone incarne un pouvoir par transsubstantiation, le prototype même d’une vision eucharistique de l’impérialisme.

La « francophonie » installera aussi insidieusement une ségrégation, dans une vision très ethnocentrique du monde classé en trois catégories : les Français, les Francisés et les Francisables. « Nous acceptons comme francophones tous ceux qui sont ou semblent destinéà rester ou à devenir participants de notre langue et dont nous sommes déjà les maîtres” », précisera Onésime Reclus qui énumérera ces francophones : « Bretons et Basques de France, Arabes et Berbères du Tell dont nous sommes déjà les maîtres ». Il faudra compter également les Alsaciens, les Lorrains, les Wallons d’Allemagne, les Belges Wallons et les Belges bilingues, la Suisse française, les Vallées françaises et vaudoises d’Italie, les Acadiens et les Canadiens Français, Terre-Neuve et Saint-Pierre et Miquelon, Haïti, les Petites Antilles de langue française, la Guyane etc. 

Nous sommes dans le XXIe siècle, et l’on n’hésite plus à convoquer politiquement l’amnésie dans l’espoir de contrecarrer la nécessité d’une critique décoloniale. Le président Macron ne cesse de dire que c’est du passé. Or ces rappels historiques ne sont pas sans intérêt et devraient plutôt faire réfléchir celles et ceux qui abordent la question de la francophonie sous les angles du divertissement, des paillettes et des voyages organisés en grande pompe sur le continent africain que l’on flatte en lui affectant le statut d’ultime espace de résistance et de pérennité de la langue française.

Nous ne demandons qu’à y croire, mais comment ne pas en douter si, à l’occasion de la plus grande Foire du Livre qui s’était déroulée à Francfort et qui mettait à l’honneur la création d’expression française dans le monde, l’on n’a entendu ni le nom d’Aimé Césaire, ni ceux de Léopold Sédar Senghor, Ahmadou Kourouma, Édouard Glissant ou Maryse Condé, des voix qui ont pourtant porté l’imaginaire en français au-delà des frontières de la Gaule ?

Comment ne pas être saisi de doute quand, à l’occasion d’une « consultation citoyenne » sur la promotion de la langue française et du « plurilinguisme » orchestrée en début d'année par la France, l’on continue de s’adresser « aussi bien aux Français quaux étrangers francophones et/ou francophiles », comme si nous étions à l’époque d’Onésime Reclus ! Qui donc est français ? Qui ne l’est pas ? Qui sont ces étrangers francophones ? Un Français peut-il être un « étranger » ? La catégorie de francophone ne s’appliquerait-elle uniquement qu’aux étrangers ?

En somme, pourquoi faudrait-il réinscrire, dans une langue supposée commune, ces ségrégations qui montrent que nous n’avons pas encore réglé nos comptes avec l’Histoire ?

Le Tarmac, scène internationale francophone

À l’heure où nous écrivons ces lignesLe Tarmac – l’un des rares espaces dédiés exclusivement aux créations francophones – est en danger. En octobre 2016, Grâce Seri, Raphaël Naasz, Roch Bandzouzi et quelques autres comédiens rejouaient, en ce lieu, « l’Acte de respirer ». C’était à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Sony Labou Tansi, une grande figure de l’écriture et de la création africaine d’expression française. Il y a quelques jours, nous avons appris que la ministre de la culture a signé l’arrêt de mort de cet espace sans équivalent en France. Jusqu’à quand nous faudra-t-il avoir la patience de reprendre l’ouvrage ? Pourquoi sommes-nous condamnés à devoir, chaque fois, chercher de nouveau « la force de refaire ce qui a étédéfait », pour reprendre cette belle formule d’Aimé Césaire ?

Et ce n’est pas tout. La revue « Africultures » est actuellement à l’agonie. Pendant plus de vingt ans, patiemment, cette plateforme aura mis nos mondes en relation. Des milliers d’articles, d’interviews, d’analyses témoignant de l’imaginaire en français des quatre coins du monde. Un site internet, une édition papier diffusée en librairie, un carnet de contenus à destination de l’apprentissage de la langue française, une base de données mutualisées. Tout cela se meurt sous nos yeux, devant l’indifférence (ou l’ignorance) de hérauts qui prétendent « déringardiser » la Francophonie et la langue française à coups de publicité et d’opérations de com.

Dans les deux cas évoqués plus haut, les maigres subventions ont été coupées. Si l’on ne peut pas commencer, en France même, par faire vivre ces plateformes, alors il faut cesser de parler de la francophonie. Que dire par ailleurs du mécénat culturel, notamment en Afrique, ce continent que les plus grandes entreprises et groupes industriels français considèrent comme une terre d’opportunités ? Qui convaincra Total, Bouygues, Bolloré, Areva, Orange et tant d’autres maîtres de la ponction d’investir ne serait-ce que 0.5% de leurs immenses profits dans la création et la pensée africaine d’expression française ?

Suite de l'article sur : https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180211.OBS2020/le-francais-notre-bien-commun-par-alain-mabanckou-et-achille-mbembe.html

Alain Mabanckou et Achille Mbembe

Source : bibliobs.nouvelobs.com, le lundi 12 février 2018

 

Francophonie: une lutte à la direction complexe

OTTAWA — La lutte électorale qui oppose Michaëlle Jean à Louise Mushikiwabo pour le poste à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) va bien au-delà de la question des dépenses jugées inappropriées qui ont entaché la réputation de la Canadienne dans les médias nationaux. Nombre d’enjeux géopolitiques et stratégiques entrent aussi en ligne de compte.

De l’avis de plusieurs observateurs, la secrétaire générale sortante a des chances infinitésimales de se voir confier les rênes de l’institution pour un second mandat. Même au gouvernement canadien, on a fait le constat qu’elle se dirige droit dans un mur ; à l’approche du sommet d’Erevan, qui se tient les 11 et 12 octobre, on a carrément exprimé le souhait qu’elle retire ses billes.

Mais Michaëlle Jean, qui s’est sauvée avec la victoire en 2014 en partie grâce au manque de consensus africain, n’a pas l’intention de rendre les armes. « Je confirme qu’elle sera là jusqu’au bout et probablement au-delà », a indiqué dans un courriel son porte-parole, Bertin Leblanc, samedi.

Au cours des derniers mois, l’ancienne gouverneure générale du Canada a vigoureusement défendu son bilan à la barre de l’OIF, fustigé les « campagnes de dénigrement, de désinformation et de diffamation » menées par les médias qui l’ont accusée de faire des « dépenses somptuaires » et promis de moderniser les pratiques administratives de l’organisation multilatérale.

Mais elle se mesure à une candidate qui détient une avance apparemment insurmontable. La ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a derrière elle la France et une flopée de pays de l’Union africaine. Et si la Canadienne s’incline effectivement devant sa rivale, sa défaite sera probablement davantage attribuable à des considérations géopolitiques plutôt qu’à son bilan, selon des experts.

« Le président Emmanuel Macron veut recentrer, repositionner la France au sein de l’OIF, et il entrevoit une OIF qui est beaucoup plus sur la promotion culturelle du français et l’apprentissage du français, alors que Michaëlle Jean et d’autres entrevoient un rôle plus politisé », suggère Martin Normand, chercheur postdoctoral à l’Université d’Ottawa.

Le professeur Jocelyn Coulon chercheur au Cérium de l'Université de Montréal

Le professeur Jocelyn Coulon, chercheur au Cérium de l’Université de Montréal, a pour sa part évoqué dans une lettre ouverte parue plus tôt cette semaine les « ambitions françaises en Afrique » du locataire de l’Élysée. « La France est déterminée à maintenir et à consolider son statut de première grande puissance en Afrique », a-t-il argué.

Un autre facteur entre en ligne de compte, selon cet ancien conseiller du ministre canadien des Affaires étrangères Stéphane Dion : « Ottawa pense à sa campagne pour l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Les votes des Africains seront déterminants. Combattre une candidature africaine serait malvenu ».

La course aurait « probablement été plus haletante, plus serrée » si « le Canada avait une empreinte plus importante en Afrique », analyse Jocelyn Coulon en entrevue téléphonique. Ce déficit d’influence résulte du désengagement progressif qui s’est amorcé sous le gouvernement de Stephen Harper, et qui s’est poursuivi sous celui de Justin Trudeau, croit-il.

Quant aux reportages sur les dépenses de la Canadienne, ils n’ont probablement pas plombé ses chances de réélection, estime Martin Normand. « Je ne sais pas dans quelle mesure la controverse (sur les dépenses) a eu une résonance à l’extérieur du Canada. L’histoire a plutôt nui à la réputation de Michaëlle Jean au Canada plutôt qu’à l’international », suggère-t-il.

Langue et droits de la personne
La candidature du Rwanda fait malgré tout grincer des dents : d’abord, parce que le pays africain a tourné le dos à la langue de Molière en remplaçant le français par l’anglais dans son cursus d’enseignement en 2010, et son bilan en matière de droits humains est bien peu reluisant.

L’équipe de la secrétaire générale sortante a pris bien soin de souligner ces deux aspects. Ces reproches, Jocelyn Coulon les relativise : « À ce compte, rappelons quelques vérités. Sur les 54 États membres (de l’OIF), une vingtaine sont des dictatures ou des régimes autoritaires avec lesquels Mme Jean s’est parfaitement bien accommodée », a-t-il noté.

Cela dit, même dans les milieux politiques de l’Hexagone, l’appui d’Emmanuel Macron à Louise Mushikiwabo a suscité du mécontentement, si bien que quatre ex-ministre français chargés de la francophonie ont publié en septembre une tribune dans le quotidien Le Monde pour critiquer la Rwandaise. Le titre de leur lettre, «Louise Mushikiwabo n’a pas sa place à la tête de la Francophonie », dit tout.

Les anciens ministres y reprochent à l’Élysée d’avoir pris unilatéralement position, sans concertation avec ses partenaires de l’OIF, et déplorent aussi que « la France est aujourd’hui contrainte d’engager un bras de fer inutile avec Justin Trudeau, au moment où elle a plus que jamais besoin d’Ottawa pour faire front commun face aux errements de Donald Trump ».

À ce sujet, Le Devoir rapportait vendredi dernier qu’Ottawa et Paris étaient engagés dans un marchandage pour éviter au premier ministre canadien d’encaisser un revers diplomatique public sur la scène internationale, le Canada ayant offert son appui à la candidature de Michaëlle Jean.

L’OIF, qu’est-ce ça donne ?
Si la Rwandaise remporte la mise, la Francophonie mondiale sera dirigée par une ressortissante d’une nation où à peine moins d’un pour cent de la population parle le français — et elle aura été élue à l’issue d’un sommet qui se sera tenu dans un pays, l’Arménie, où ce pourcentage est similaire, voire inférieur.

Et sur les 84 États membres de plein droit, associés et observateurs de l’OIF, nombreux sont ceux à ne pas avoir le français comme langue officielle ou d’usage. Quelle est donc la raison d’être de cette institution, et pourquoi des pays où le français est marginal cherchent-ils à y adhérer ?

« C’est l’attrait pour le réseau coopératif. Le français reste la deuxième langue internationale, et il y a des pays qui veulent miser sur le français pour pouvoir s’intégrer dans des réseaux internationaux. Il y a peut-être des pays là-dedans qui ont de la difficulté à composer avec l’anglais et le Commonwealth et qui voient dans l’OIF une alternative pour faire avancer d’autres projets », expose Martin Normand.

L’élection d’une secrétaire générale issue d’un pays où le français est si peu répandu ne serait toutefois pas inédite : le tout premier dirigeant de l’OIF, Boutros Boutros-Ghali, était originaire de l’Égypte, pays où la langue française est parlée surtout dans les hautes sphères de la société.

Les secrétaires généraux de l’OIF
La création du poste de secrétaire général de l’OIF remonte à 1997. Voici la courte liste de ceux qui l’ont occupé jusqu’à présent.

2015 — : Michaëlle Jean (Canada)

2003 — 2014: Abdou Diouf (Sénégal)

1998 — 2002: Boutros Boutros-Ghali (Égypte)

Source : journalmetro.com, le dimanche 7 octobre 2018
Possibilité d'émettre un commentaire à cet article en allant sur : http://journalmetro.com/actualites/national/1844735/francophonie-le-sort-de-michaelle-jean-se-decide/amp/ 

 

Alain Mabanckou, écrivain, au président Macron !

EN BREF
  • Le président de la République Emmanuel Macron a présenté, le 20 mars 2018, devant l'Académie française, son plan pour développer la francophonie.
  • Il avait proposé à Alain Mabanckou de contribuer aux « travaux de réflexion » qu’il souhaite « engager autour de la langue française et de la Francophonie ».
  • L’auteur de « Verre cassé » lui avait répondu le 15 janvier 2018, dans cette lettre ouverte 

 

Monsieur le Président,

Dans votre discours du 28 novembre à l’université de Ouagadougou, puis dans un courrier officiel que vous m’avez adressé le 13 décembre, vous m’avez proposé de « contribuer aux travaux de réflexion que vous souhaitez engager autour de la langue française et de la Francophonie.»

Au XIXe siècle, lorsque le mot « francophonie » avait été conçu par le géographe Onésime Reclus, il s’agissait alors, dans son esprit, de créer un ensemble plus vaste, pour ne pas dire de se lancer dans une véritable expansion coloniale. D’ailleurs, dans son ouvrage « Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique » (1904), dans le dessein de « pérenniser » la grandeur de la France il se posait deux questions fondamentales : « Où renaître ? Comment durer ? »

Qu’est-ce qui a changé de nos jours ? La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies. Repenser la Francophonie ce n’est pas seulement « protéger » la langue française qui, du reste n’est pas du tout menacée comme on a tendance à le proclamer dans un élan d’auto-flagellation propre à la France. La culture et la langue françaises gardent leur prestige sur le plan mondial.

Les meilleurs spécialistes de la littérature française du Moyen-Âge sont américains. Les étudiants d’Amérique du Nord sont plus sensibilisés aux lettres francophones que leurs camarades français. La plupart des universités américaines créent et financent sans l’aide de la France des départements de littérature française et d’études francophones. Les écrivains qui ne sont pas nés en France et qui écrivent en français sont pour la plupart traduits en anglais : Ahmadou Kourouma, Anna Moï, Boualem Sansal, Tierno Monénembo, Abdourahman Waberi, Ken Bugul, Véronique Tadjo, Tahar Ben Jelloun, Aminata Sow Fall, Mariama Bâ, etc. La littérature française ne peut plus se contenter de la définition étriquée qui, à la longue, a fini par la marginaliser alors même que ses tentacules ne cessent de croître grâce à l’émergence d’un imaginaire-monde en français.

Tous les deux, nous avions eu à cet effet un échange à la Foire du livre de Francfort en octobre dernier, et je vous avais signifié publiquement mon désaccord quant à votre discours d’ouverture dans lequel vous n’aviez cité aucun auteur d’expression française venu d’ailleurs, vous contentant de porter au pinacle Goethe et Gérard de Nerval et d’affirmer que « l’Allemagne accueillait la France et la Francophonie », comme si la France n’était pas un pays francophone !

Dois-je rappeler aussi que le grand reproche qu’on adresse à la Francophonie « institutionnelle » est qu’elle n’a jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression, tout cela orchestré par des monarques qui s’expriment et assujettissent leurs populations en français ? Ces despotes s’accrochent au pouvoir en bidouillant les constitutions (rédigées en français) sans pour autant susciter l’indignation de tous les gouvernements qui ont précédé votre arrivée à la tête de l’État.

Il est certes louable de faire un discours à Ouagadougou à la jeunesse africaine, mais il serait utile, Monsieur le Président, que vous prouviez à ces jeunes gens que vous êtes d’une autre génération, que vous avez tourné la page et qu’ils ont droit, ici et maintenant, à ce que la langue française couve de plus beau, de plus noble et d’inaliénable: la liberté.

Par conséquent, et en raison de ces tares que charrie la Francophonie actuelle – en particulier les accointances avec les dirigeants des républiques bananières qui décapitent les rêves de la jeunesse africaine –, j’ai le regret, tout en vous priant d’agréer l’expression de ma haute considération, de vous signifier, Monsieur le Président, que je ne participerai pas à ce projet.

Alain Mabanckou
Santa Monica, le 15 janvier 2018

 

 




Publié par Régis RAVAT le 08 octobre 2018

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Orthographe, corrections : contact.sy@aliceadsl.fr

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